Le sanskrit, Sarasvatī , sa découverte en Europe.
Sárasvatī est la déesse de la parole et de la connaissance. Elle joue de la vina, sorte de luth, assise sur un lotus. Son nom qui se décompose en sara, mot qui désigne ce qui s’écoule (comme dans sam+sara ensemble + écoulement qui désigne le devenir), un S euphonique + vati, celle qui possède. Sa relation à l’eau, en yoga, en fait la Śakti du cakra Svādhiṣṭhāna, associé à la créativité artistique et à la parole, qui s’écoule comme l’onde.
Tout en sanskrit est musique : les règles du sandhi sont là pour le rappeler. Ces règles changent les lettres finales des mots suivant le mot qui suit. Par exemple l’ablatif de certains mots en a est At mais devient Ad ou An en fonction de ce qui suit : exemple bayAD ( At) grhAN ( At) na nirgacchAti.
Les règles sont très nombreuses, car la langue doit couler comme l’onde. Elle est extrêmement musicale et très claire quand elle est parlée.
Il faut se rappeler aussi que ce sont les Ṛṣi – prononcer Rishis- les Sages anciens qui ont « écouté » les Dieux qui leur offrent les Vedas. Ils ne les inventent pas, ils ne les imaginent pas, ils n’ont pas fait de spéculation intellectuelle : non ! Ils ont pris, sous la dictée, divine les quatre védas.
Sur le plan de l’écriture, la langue s’écrit en suspendant les lettres à une barre verticale, qui rappelle que les phonèmes viennent du ciel. Les racines sanskrites inondent d’ailleurs toutes les langues indo-européennes.
En Europe, c’est au 18ème siècle qu’apparaissent les premières traductions et dictionnaire. C’est un émerveillement.
J’ai toujours pensé que Goethe avait été influencé par cette philosophie ; sa théorie de la Ur-planz, sorte de plante primordiale d’où serait issue tous les végétaux, (la racine UR en allemand se réfère à une origine première, sorte de prototype universel) rappelle que la forme est en germe dans la graine. N’a-t-il pas écrit que « Seul celui-là peut penser qui a suffisamment séparé pour unir, et suffisamment uni pour pouvoir à nouveau séparer » ?
Richard Wagner, lui, découvre le tantrisme – son Tristan serait le mot miroir dans son opéra de Tantris. L’amour charnel vécu par Tristan et Isold permet la fusion avec le Tout.
Théophile Gautier est bouleversé par le poète Kalidasa et écrit à sa suite un Šakuntalā. Schopenhaeur, quant à lui, nourrit son livre « Monde comme volonté (icchā) et représentation (rūpá)» de notions indiennes, et ainsi de suite.
C’est au 19ème siècle, le même émerveillement que lorsque au 16ème siècle, paraissent les premiers dictionnaires gréco-latin et que l’on redécouvre les auteurs de l’antiquité. Puis, tout le monde s’engouffre dans cette philosophie plus ou moins bien comprise, et piochent ici et là ce qui peut nourrir son imagination, sa compréhension, sa fantaisie…
Dans le même temps, on découvre que le sanskrit inonde toutes les racines des langues européennes: la linguistique naît à ce moment-là. Yoga, corps énergétique et vibration sonore du A au Ha : ( अ – ह) déploiement et résorption de l’univers sur la trame du Om ॐ
Quand on fait du yoga, on prononce énormément de bīja en ne comprenant pas toujours, si le professeur n’a pas le temps de l’expliquer, pourquoi tel bīja plutôt que tel autre. Pour commencer rappelons que la première lettre de l’alphabet est le A et la dernière Ha, visarga qui se prononce HHa, en expirant le H. Tout l’univers se déploie de l’une à l’autre. Dans le A, vibre la conscience de Sivá lui-même. Après le A vient le I – इ qui est l’énergie de Sákti. Le A est d’un blanc lumineux, car les vibrations sonores deviennent lumière, et le I est rouge. Voilà pourquoi dans certaines visualisations, comme Kurmasana, ou Yoga mudra, etc, le souffle ira du cakra de la base, là où Kuṇḍalinī qui n’est autre que Sákti – à l’échelle de l’être humain finit sa course, avec l’écoute du I et la visualisation de la couleur, – rouge, à ajna avec l’écoute du A et le blanc lumineux. Ces visualisations sont communes à nombre de techniques issues du yoga, influencé par l’école Shivaïte non dualiste.
De la sorte, les mantras Hrim, Klim, Strim, Sthrim, Rhim, etc, créatrice de Sivá – sont associés à l’énergie. Les mantras dans lesquels résonnent le A, mettent en lumière la conscience divine qui entre en jeu et son absorption possible en elle si le I de Sákti l’a rejoint et fusionné avec lui.
Deux exemples pour illustrer cela :
1) Ham Sa So Ham
Le mantra Ham-Sa(h) est le son naturel du souffle disent les textes traditionnels, telle la Śiva saṃhitā par exemple. Mais Ham-sah désigne aussi en sanskrit l’oie sauvage, ou cygne haṃsá हं स . Il est la monture de Sárasvatī, śákti du chakra du pubis, de svādiṣṭha. C’est précisément là que naît le souffle subtil, le HamSa. On ne saurait être plus éloquent, tout se joue avec deux bījas seulement qui entretiennent toute la dualité.
En sanskrit : Ham signifie Je, Sa(h) pronom ou article signifie « Il. » Le souffle entre à l’inspiration avec le Ham et est expiré avec le Sa, entretenant la dualité de l’individu à l’infini. Il suffit qu’il se suspende et tombe pour que le Om-AUM se révèle, même un court instant. Répété dans l’autre sens Sa-Ham, par le jeu du sandhi, devient So Ham. Lui est moi.
A chaque instant, le pratiquant se rappelle qu’il est le tout.
2) AHAM MAHA
Décomposons A Ha Mn, A : première lettre अ, Ha : dernière lettre ह M : Nasalisation de la résonance : ंं Aham अहम् est le pronom personnel Je qui contient la conscience de Shiva, l’énergie de Shakti et la résonance qui se prolonge.
En miroir, AHAM donne MAHA महा qui signifie grand.
Il est souvent récité en cette formule AHAM MAHA en faisant aller ses yeux d’un point à un autre, puis en sens inverse, pour se fondre au tout avec cette idée que « je » ( suis) « Tout » et que « Tout » (est) Moi. Le verbe être est souvent supprimé dans des phrases courtes, en sanskrit, si le sens est évident.
Toutes ces formules, répétées en japā, c’est-à-dire en récitation en boucle, permettent au pratiquant de mettre en vibration la part d’énergie divine, active dans chaque bīja et peu à peu, au fil du temps, de mettre en vibration sa propre structure énergétique, véritable toile de sons. Il harmonise, ainsi, son être sur la vibration de l’univers, et peut même remonter à la source de celui-ci. L’unité perdue est retrouvée.