Dans la pratique du Haṭhayoga contemporaine, la pratique de la méditation n’est pas toujours une évidence, dans de nombreux cours. Peu de gens finalement savent que la méditation est le couronnement de la pratique. Il serait d’ailleurs plus juste de parler de Haṭha-rāja-yoga.
Le rājayoga, selon Ysé Tardan Masquelier dans l’Encyclopédie du Yoga, est considéré dans les textes médiévaux comme « la voie royale » et le sommet du Yoga.
La Haṭhapradīpikā (la lumière sur le Hatha) écrit par Svâtmârâma, un des textes référents sur la pratique du Haṭhayoga se découpe en quatre chapitres. Le premier est consacré aux postures (āsana ) et à quelques conseils nutritionnels, le second à la pratique du prāṇāyāma (la maîtrise du souffle vitale), le troisième aux bandha (verrous, sceaux ,ligatures) et le quatrième aux différentes étapes et états de la méditation (dhyāna). Ce dernier chapitre est le plus fourni, ce qui nous démontre que la pratique de l’époque est loin d’être une pratique simplement corporelle. D’ailleurs la majorité des postures décrites dans le premier chapitre sont des assises.
Par conséquent le Haṭhayoga nous emmène sur un chemin qui utilise le corps comme temple spirituel pour aller vers la méditation et l’état de samadhi (absorption, enstase).
Nous allons maintenant voir les étapes proposées dans cette pratique méditative.
Tout d’abord il y a la conscience du mental agité (ksipta). L’Inde décrit le mental de l’homme tel un singe ivre piqué par un scorpion qui a peur de la mort ! C’est dire le niveau d’agitation et de dispersion de notre être. Le singe symbolise bien cette attitude. On peut voir en Inde de nombreux singes passer d’un arbre à un autre, d’un bâtiment à un autre à toute allure avec ce sentiment de frénésie et d’agitation. Alors si en plus, il est ivre et en danger de mort !
Donc il s’agit d’abord de prendre conscience de cet état et de vouloir le transformer, c’est là que le Yogi ou la Yogini utilise la seconde étape qui est dhāraṇā c’est à dire la concentration. C’est une attention volontaire qui doit permettre de passer de l’agitation à une concentration précise sur un objet, le Haṭhayoga utilise plusieurs moyens (upāya) pour développer cette attitude comme le souffle, les sons, les visualisations.
Il y a dans dhāraṇā une volonté de la personne qui disparaît dans la prochaine étape qui est dhyāna la méditation qui donnera le terme Ch’a en Chine et Zen au Japon. C’est le «non-effort», le «laisser-faire». «L’état de méditation est une attitude contemplative, celle d’un observateur passif qui est pleinement lucide mais non-agissant »(Boris Tatzky, Le souffle énergie du Yoga). Les turpitudes du mental disparaissent mais dès qu’elles ressurgissent, cet état disparaît.
Voici la définition de la méditation selon la Haṭhapradīpikā, la petite lumière sur le Yoga.
« Nulle pensée d’un objet extérieur, nulle pensée d’un objet intérieur. Ayant rejeté toutes les pensées, on ne doit penser à rien. » (HYP, 4.57).
C’est le lâcher-prise qui va permettre ce passage de dhāraṇā à dhyāna .
Enfin cette pratique intense de la méditation peut nous emmener vers samādhi , un état d’unité d’une pure conscience énergie, un retour primordial vers la source de vie.
« Comme un grain de sel jeté dans l’eau se mélange et ne fait plus qu’un avec l’eau, une similaire unification du manas et de l’Ātman est appelé samādhi. » (HYP.4.5).
L’Ātman c’est ce qui demeure en nous, c’est le vestige de la conscience énergie qui était là avant et sera là après et qui réside au cœur de chacun.
Il y a de nombreuses traditions religieuses et spirituelles qui décrivent cet état de conscience profond, le Haṭhayoga popose une doctrine, une voie pour retrouver cet état primordial que cherche à retrouver le Yogi de son vivant et lorsqu’il va quitter son enveloppe physique.
Nous avons pu voir que non seulement la méditation avait sa place dans la pratique du Haṭhayoga mais que de surcroît, elle en était l’apogée. Elle est décrite avec une grande précision dans les textes sacrés concernant les divers états et étapes pour accéder à un état d’unité.
De nombreuses pratiques modernes de la méditation comme la pleine conscience découlent de cette héritage du Haṭhayoga mais on a souvent appauvri la profondeur d’une telle pratique en voulant la déconnecter de ses racines spirituelles et/ou religieuses. Pourtant une des définitions du mot Yoga est l’union. Le terme Yoga vient de la racine Yuj soit le joug ou l’attelage, donc ce qui relie ou union. Il s’agit d’une union au divin dans une Inde immergée dans le sacré, ou plus prosaïquement de se relier à la source de vie.
Et si on ne donne pas une dimension et orientation forte à cette pratique, le pratiquant ne devient-il pas un simple robot qui entraîne fadement son esprit, à être dépendant des injonctions de la société moderne comme être rentable au travail, être un bon parent, réussir son couple, ne plus être stressé etc…?
Il me semble nécessaire de redonner ses lettres de noblesse à la pratique du Yoga en utilisant une pédagogie précise et évolutive et en rappelant le message initial de sa philosophie qui est l’état d’unité tout en le contextualisant à notre vie occidentale.