Dans le vie religieuse et culturelle de l’Inde, comme dans d’autres civilisations, la lune occupe une place primordiale. L’année est rythmée par ses cycles, sur lesquels se calque le calendrier traditionnel, de même que les dates de presque toutes les célébrations religieuses (certaines sont calculées sur le calendrier solaire). Les jours du calendrier lunaire sont appelés selon les phases lunaires, ainsi le premier jour du mois lunaire est appelé Pratipāda (première station), puis Dvitīya (deuxième), Tritīya (troisième), et ainsi de suite jusqu’au 14ème jour. La pleine lune est nommée Pūrnimā, et la nuit sans lune (ou lune noire), Amāvāsyā. Le mois est de 30 jours, sur 15 jours de phase claire (ou lune croissante) et 15 jours de phase sombre (lune décroissante).
Ces journées du cycle lunaire sont attribuées aux différents dieux et créatures par Brahmā, selon la littérature Puranique. Il est courant, dans le cas de festivités, de se référer à la journée par son nom numérique lunaire accompagné du nom de la divinité (ou créature) célébrée: par exemple, on aura peut-être entendu parler de Nāga Pancamī (cinquième dédié aux serpents), Janm Așțamī (huitième dédié à la naissance (de Kŗșņa), etc. Cela désigne le plus souvent un jour particulier dans l’année, celui du mois lors duquel la divinité en question est célébrée par tous lors d’un grand festival régional ou national. Mais pas seulement, ce jour revient chaque mois, et les fidèles qui le souhaitent célèbrent les Nāgas, par exemple, non seulement la date annuelle publiquement célébrée sous le nom de Nāga Pancamī, mais le Nāga Pancamī de chaque mois de l’année. Chaque journée du mois est ainsi consacrée à l’un ou l’autre des objets d’adorations des Hindous, et ce cycle se répète chaque mois de l’année.
Remarquons néanmoins que certaines dates lunaires, ou tithis, peuvent être associées à différentes divinités. Par exemple, aṣțamī sera le plus souvent dédié aux Matŗkas. Mais l’aṣțamī de kŗṣņa pakśa (phase sombre) du mois de Śravana est dédié à Kŗṣņa, et on parle alors de Janmaṣțamī.
Pour chaque divinité, un rituel d’adoration dont différentes versions existent souvent, parfois une légende à lire, sont conseillés pour s’attirer les grâces de la lune et de la divinité en question.
Comme tout est interconnecté dans la pensée indienne, des injonctions alimentaires concernent aussi ces tithis (dates lunaire) et la propitiation de leurs divinités tutélaires. Le respect de ces indications, selon le Varāha Purāna, apporte de grandes bénédictions. C’est dans ce texte, le Varāha Purāna, daté du dixième au douzième siècle de notre ère, que nous trouvons des indications alimentaires à respecter pour chaque tithi. Nous allons dans cet article découvrir ce cycle de la lune et des dieux, ainsi que les restrictions alimentaires conseillées par les savants des temps anciens.
Commençons par noter que dans la partie du Purāna qui concerne ce cycle, si des rituels d’adorations sont mentionnés, ils ne sont pas décrits et aucune instruction n’est prodiguée en regard à la procédure à suivre, quelques exceptions mises à part. Mais pour chaque tithis est donnée une instruction alimentaire, comme si l’auteur avait souhaité mettre en évidence l’importance de celle-ci, même par rapport à un rituel plus complexe. Le pieux respect de ces injonctions constitue déjà en soit une juste adoration des divinités.
Cet article ne se veut pas critique, il ne fait que présenter une forme de pratique et des informations formulées il y a mille ans. Nous n’entrerons dans aucun débat concernant les versions données des légendes ni la place du texte dans la chronologie historique.
Au premier jour du cycle lunaire, Pratipāda, Agni est adoré. Le texte le met en scène demandant qu’une journée lui soit consacrée, il voulait que le monde entier se souvienne ainsi de lui. Brahmā lui accorda ce jour disant :
« O Pāvaka, excellent parmi les dieux, les Yakshas et les Gandharvas, puisque tu es né au premier jour, les autres divinités seront produites dans tes pas à partir de Pratipāda, et la date qui porte le nom de Pratipāda te sera consacrée. » (Varāha Pur. 19.3/4)
Il est dit que celui qui s’abstient de nourriture en ce jour, et se contente de boire du lait, grandit en puissance et en beauté, ainsi qu’en richesse. Il irait ensuite au paradis, où il serait adoré pendant trente-six cycles de quatre yugas.
Le second jour du cycle lunaire, Dwitīyā, est consacré aux deux Aśvinas, les dieux jumeaux. Ils s’adressèrent un jour à Brahmā, demandant une part des oblations offertes dans le sacrifice, ainsi que le droit de boire le Soma. Ils désiraient l’égalité perpétuelle avec les dieux. Brahmā répondit :
« Beauté et charme sans comparaison, et le pouvoir médical sur toutes choses, la consommation du soma et l’égalité, que tout cela soit. » (Var. Pur. 20.31)
Mahātapā, qui enseigne Prajāpāla, ajoute :
« Tout cela fut accordé aux deux Aśvinas, il y a longtemps, en un jour de Dwitīyā, cette date est donc très bénéfique pour eux. » (Var. Pur. 20.32)
Celui qui souhaite devenir extrêmement beau doit vivre de fleurs seulement en ce jour, sur une année entière, avec pureté et piété. Il acquiert toutes les qualités énumérées plus haut.
Tritīyā, le troisième jour, célèbre Gauri, la parèdre de Śiva. Son mariage, lorsqu’elle naquit sous les traits de la fille de Himāvat, eut lieu en cette date.
Il est dit que celui qui éliminera le sel de sa nourriture en ce jour verra la fortune lui sourire. Il obtiendra sûrement tout ce qu’il désire : prospérité, santé, fortune, force.
Puisque Gaņesha fut consacré chef des Gaņas au quatrième tithi du cycle, caturthī, il est adoré ce jour-là.
Il est écrit que celui qui vivra de graines de sésames en cette date, et adorera Gaņapati, satisfera la divinité immédiatement.
Le cinquième jour du cycle, pancamī, est dédié aux Nāgas. Brahmā maudit les serpents de destruction à cause de la forte mortalité qu’ils provoquaient parmi les humains:
«Comme vous causez continuellement la destruction de l’espèce humaine créée par moi, par une terrible malédiction de votre mère lors d’une autre naissance, dans l’ère de Swāyambhuva, vous connaitrez une grande destruction.» (Var. Pur. 24.18)
Les serpents supplièrent:
«Seigneur, si notre naissance est ainsi faite et perverse: excès de venin, cruauté et le regard semblable à des missiles, tout cela a été accompli par toi. Alors, Ô Acyuta, réprime celles-ci (ces tendances).» (Var. Pur. 24.20)
Après discussion, il fut décidé que des limites seraient imposées aux serpents:
«Les trois (régions nommées) Pātāla, Vitala et Harmya, vous sont données, qui sont toujours charmantes, faites-y votre demeure.24
Sur mon ordre, vous y jouirez de plaisirs de toutes sortes, encore et encore jusqu’à la fin de sept nuits. 25
Ensuite, au commencement de l’ère de Vaivasvata, fils de Kaśyapa, vous serez parents des dieux et du sage Suparna. 26
Alors toute votre descendance sera dévorée par le feu. Bien que vous soyez sans faute, cela se produira sans aucun doute. 27
Seuls les serpents cruels, sensuels et arrogants seront détruits, non les autres. Ne mangez ou mordez que les hommes dont l’heure est venue ou qui vous ont offensés. 28
Ceux qui vont armés de mantras, de médecines ou du cercle de Gāruḍa, de ceux-là vous aurez peur, et rien d’autre. Si vous agissez différemment, vous mourrez. 29»
C’est parce que cette malédiction et cette bénédiction furent lancées sur le peuple des serpents au cinquième jour du cycle que ce jour leur est consacré.
Celui qui s’abstient de nourriture acide en ce jour, et demeure en son propre contrôle, gagne l’amitié des serpents. Il est aussi conseillé de baigner un serpent avec du lait.
Ṣaṣtī, la sixième phase lunaire, est consacré à Kārtikeya, par décret du Créateur. On peut supposer que c’est parce qu’il fut allaité par les six Kŗttikās que Brahmā lui assigna le sixième jour, ou à cause de ses six têtes ou encore du lien entre sa naissance et six des femmes des sept ŗṣīs. Cela n’étant pas précisé par le texte, toutes ces interprétations, et d’autres, sont acceptables.
Si un humain, ayant contrôlé son mental, se nourrit de fruits seulement en ce jour: il obtient un fils s’il est sans fils, des richesses s’il en est dépourvu. Vraiment, il obtient ce que son cœur désire.
Au septième jour du cycle lunaire, Saptamī, Sūrya est commémoré, car c’est en ce jour que la matière lumineuse assuma une forme perceptible.
Il est conseillé de jeûner en ce jour. L’abstinence de nourriture et l’adoration du soleil, en ce jour, assurent l’accomplissement des désirs.
Brahmā fixa le huitième jour, aṣțamī, pour l’adoration des huit Matŗikas. Celui qui les adore et modère son alimentation en ce jour sera bénit avec la santé et les richesses.
Durga doit être adorée avec concentration au neuvième jour du cycle lunaire, Navamī. On remarquera que le huitième jour lui est généralement consacré car elle se manifeste en tant que huit Matŗikas, et le neuvième est célébré comme le jour de la naissance de Rāma qui naquit lors du Navami tithi de la phase claire du mois de Caitra. Dans le Varāha Purāna, ce tithi est consacré à la grande Déesse. Rāma ayant lui-même été adorateur de Durgā, il n’y a pas d’incompatibilité chronologogique : la même date peut célébrer la Déesse, et être le jour de la naissance de Rāma.
Celui qui, homme ou femme, mangera un repas de gâteaux en ce jour, verra les souhaits de son cœur s’accomplir.
Le dixième jour du cycle fut réservé à l’adoration des dix directions. C’est lors de ce tithi que, à la demande de ces déesses (les dix directions), les extrémités de l’espace leur furent accordées pour demeure et que des conjoints leur furent donnés.
Celui qui, avec piété, prend un repas de yahourt en cette date, voit les péchés commis quotidiennement détruits par ces déesses.
Ekādaśī, le onzième jour, fut consacré à l’adoration de Kubera, le seigneur des richesses, par Brahmā satisfait de lui. Ce tithi marque le jour où le dieu assuma une forme physique à l’injonction de Brahmā :
«Sois calme et prends forme!» (Var. Pur. 30.4)
Brahmā le mit en charge de toutes les richesses:
« Tu protégeras les richesses et les effets des dieux.» (Var. Pur. 30. 5)
Celui qui mange des aliments non-cuits en ce jour, et demeure pur et dévoué, gagne immédiatement les plaisirs du seigneur des richesses qui lui accorde tout.
Le douzième jour, Dvādaśī, fut attribué à Viṣņu par Nārāyana, car selon le texte le premier est une émanation du second. Nārāyana, avec l’intention de créer le monde puis d’assumer le rôle de préservateur, réalisait la nécessité d’un corps pour toute action. Comme il pensait à cela, Viṣņu apparut devant lui afin d’accomplir l’action voulue. Il le bénit de maintes façons et réserva ce jour pour son adoration.
Quiconque prend un repas de ghī seulement, en ce tithi, et adore Viṣņu, verra deviendra un habitant du ciel.
Trayodaśī, treizième tithi, est particulièrement auspicieux pour l’adoration de Dharma. Celui-ci, blessé par la vile tentative de Chandra sur Tārā, se retirait dans la forêt. Dieux et démons perdirent toute mesure et se mirent à poursuivre les femmes mariées et à se battre. Brahmā réussit à convaincre les devas et les daityas d’honorer Dharma, et de le prier de revenir. C’est à la suite de cela que le treizième jour lui fut dédié.
Celui qui jeûne en ce jour, et respecte le dharma, sera libéré de nombreux péchés qu’il aurait préalablement commis.
Rudra, Paśupati, est la divinité qui préside au quatorzième jour, Caturdaśī. Il détruisit le sacrifice de Prajapati, car le grand rituel qui donnerait vie aux créatures fut entrepris alors qu’il accomplissait des austérités sous la surface des eaux. Les dieux, conseillés par Brahmā, prièrent Rudra de s’apaiser et de les bénir.
Toute personne qui en cette date adore Rudra avec dévotion, garde le jeûne et nourrit les brahmanes de plats de farine de blé, verra le dieu satisfait et sera élevé à la plus excellente station.
Lors du tithi appelé Amāvasyā, les Pitŗs, les ancêtres spirituels, sont commémorés.
Ils demandèrent à Brahmā: «Donne-nous des moyens de subsistance, O Seigneur, que nous connaissions le bonheur.»
Et lui de répondre: «Que Amāvasyā soit un jour spécial pour votre culte, et, satisfaits par les oblations d’herbe Kuśa, de sésame et d’eau, offertes par les humains, que vous en tiriez un plaisir ininterrompu.»
Ils sont satisfaits par celui qui garde le jeûne en cette date et leur offre du sésame. Ils accorderont des vœux sans délai.
Et Purņimā, ou Paurņamāsī, la pleine lune est consacrée à l’adoration de Soma par Brahmā après que ce roi du ciel nocturne soit né pour la seconde fois lors du barratage de l’océan.
Il est dit que celui qui adore Soma, et ne mange qu’un repas d’avoine en ce jour, acquiert élégance, santé, richesses et abondance.
Ainsi chaque jour du calendrier est l’occasion de se souvenir du Seigneur et de glorifier sa création. Il est aussi une opportunité d’accorder les énergies du cosmos et du micro-cosmos qu’est l’individu. Créant une harmonie naturelle dans les corps physiques et subtils, ainsi qu’entre la créature et son environnement, des bénéfices pour le corps et l’esprit se manifestent dans la vie des pratiquants.
Cet article commence une série d’articles dans lesquels nous apprendrons plus en détails la naissance et le rôle de chacune de ces seize divinités.