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Le Śrī Yantra

Les yantras sont des assemblages de formes géométriques qui, unies, incarnent le pouvoir d’une divinité. Le nombre de triangles, de carrés, de cercles va décrire les attributs de la divinité ainsi manifestée, et synthétiser la philosophie qui se rattache à elle. Une fois qu’ils sont investis, par le rituel appelé prāṇa pratiṣṭha, de l’énergie vital (prāṇa), ils ne sont plus un symbole de la divinité mais la forme physique de la divinité. Puisque le yantra s’est d’abord manifesté aux sages des anciens temps, depuis les confins de la conscience, depuis un lieu de la conscience où l’unité prédomine, la forme manifestée est vraiment la divinité.

Le Śrī Yantra, tout en étant presque tout à fait méconnu du grand public quant à sa signification et ses particularités, est néanmoins le plus populaire des yantras. On le trouve non seulement dans les temples consacrés à la déesse mais aussi dans nombres de temples dédiés à d’autres divinités. Certains temples sont érigés selon la construction particulière du yantra, c’est le cas pour le temple de Kāmākṣī à Kāñcī ou de Kāmākhyā en Assam. On le place sous la statue d’une divinité pour inviter le prāṇa à venir l’habiter. On le dissimule dans les fondations de bâtiments en construction pour assurer un avenir heureux et fructifiant. Il est présent dans presque chaque foyer et dans les commerces. Il est très souvent, et erronément, pris pour le Lakṣmī Yantra par les négociants. Il est adoré pour apporter la fortune et la prospérité par ces derniers, pour acquérir un quelconque bien ou une qualité par d’autres. Les sādhakas, les mumukṣas, l’utilisent pour leurs méditations. Ce yantra influence consciemment ou non la vie religieuse de toute l’Inde.

Les yantras, comme ils sont issus de la conscience, révèlent, témoignent de l’état de conscience par lequel ils se manifestent. Si le yantra, par les explications des multiples divinités qui l’habitent et des concepts qu’il renferme, apparaît complexe et duel, il est en fait une unité d’une simplicité telle que l’esprit dans sa modalité courante ne peut saisir. On fait le détail de toutes les divinités, de toutes les yoginīs, afin seulement de traduire l’état de conscience dans lequel le yantra se manifeste et l’ensemble des possibilités qui caractérisent cet état de conscience. Comme le yantra surgit d’un point dans la conscience où la distinction entre la divinité et l’individu est dissoute vers l’esprit individualisé (c’est après tout le sens de la manifestation), c’est le parcours contraire qu’il nous propose de franchir. Il est un pont entre la conscience courante et la supra-conscience d’où il est apparut. Le but de la pratique de l’adoration du yantra, ou de sa méditation, est de conduire la conscience vers cette source indifférenciée, vers la divinité.

Il est dit que le Śrī Yantra est issue du Pancadāśi mantra. Il est en fait probablement issu de la conscience, de même que le mantra et les Veda; si l’on dit cela c’est pour insister sur l’intimité du son et de la forme. Ils traduisent tous deux un même état de conscience, une même réalisation, celle de l’infini beauté de la déesse et de l’identité unique des trois pôles de la création. Tout de même, certaines similitudes entre l’architecture du mantra et du yantra rendent évidente la relation entre les deux. On décrit de cette façon l’unité du mantra et du yantra: 

De ‘La’ est né Bhūpura et les divinités qui y siègent. ‘Sa’ tient pour la Lune dont le cycle est composé de seize digits, le bīja est à relier avec le cercle de seize pétales et les śaktis qui l’habitent. ‘Ha’ donne naissance à l’octuple Śiva (huit noms lui ont été donnés par Brahmā), et correspond au cercle à huit pétales et à ses divins résidents. ‘Ī’ tient pour Bhuvaneśvarī et les quatorze mondes (hormis le monde intermédiaire dans lequel nous vivons), et, dans le yantra, correspond à la figure à quatorze angles et aux yoginīs qui l’activent. De ‘E’ sont issus les dix avatars de Viṣṇu et le bahirdaśara, ainsi que les śaktis qui y sont adorées. Le demi ‘R’ tient pour ‘Ra’, le bīja mantra du feu. Il donne naissance aux dix formes de feux, à l’antardaśara et aux yoginīs qui y demeurent. Ici, ‘Ka’ tient également pour les huit aspects de Śiva, ou bien pour les huit Vasus selon d’autres. En émergent la figure à huit angles et les divinités correspondantes. Ardhacandra engendre le triangle central et les trois devī qui y siègent. Et d’anusvāra sont issus le bindu et Mahātripura Sundarī.

Le yantra est utilisé à des fins rituelles ou pour la méditation. Il décrit autant le phénomène d’émanation et de résorption de l’univers, que le corps humain physique et subtil. C’est sa perfection graphique et sa relation aux trois unités d’existence (humain, monde, divinité) qui lui confèrent une telle importance et une efficacité mystique confirmée. 

Le yantra doit, avant d’être utilisé à des fins rituelles, passer par un rituel, le prāṇa pratiṣṭha, lors duquel le prāṇa, l’énergie vitale, est invitée à venir habiter la figure. Ce n’est qu’alors qu’il sera pleinement investi et incarnera tout à fait la divinité.

Le Śrī Yantra est considéré comme le plus abouti, le plus parfais des yantras; aussi le plus difficile à dessiner. Au sein de ce yantra chaque croisement de lignes est significatif. Rien n’y est laissé au hasard, et pour que la figure soit parfaite les proportions et l’harmonie doivent être exactes. Sa construction permet également différents sens de lecture: on peut le lire de façon structurelle, c’est-à-dire en décrivant ses composants, ou de façon concentrique du centre vers la périphérie ou de la périphérie vers le centre.

Les deux sens de lecture, introvertie ou extravertie, sont liés aux deux méthodes de construction du yantra. L’une part de Bhūpura, la forme carrée dans laquelle s’inscrit l’ensemble de la figure, et va vers le bindu central. Ce sens de lecture est appelé Saṃhāra krama comme il commence dans le monde manifesté, bhūpura, pour rejoindre le centre d’émanation, le bindu central, le siège de la divinité et de l’union des paires, où la manifestation n’est présente qu’à l’état latent. Cette façon de construire et de pratiquer le yantra est décrite par Lakṣmīdhara dans son commentaire sur le Saundarya Laharī de Śaṅkarācārya.

Le sens de lecture extravertie, du bindu vers bhūpura, est appelée la méthode samaya et est décrite dans le Jñānārṇava Tantra. 

La partie principale du yantra est composée de neuf triangles inter-croisés. Ils sont inscrits dans un cercle, deux rangées de pétales (huit et seize), trois cercles, et les trois lignes de bhūpura, la structure carrée dans laquelle s’inscrit l’ensemble de la figure.

Les neuf triangles tiennent pour Śiva et Śakti. Quatre triangles inversés représentent Śakti, cinq triangles pointant vers le haut ramènent à Agni, ou à Śiva. A eux neuf, ils décrivent Mūla Prakṛti, la nature originelle. Comme un des principes de base de Śrī Vidyā est l’harmonie entre les unités d’existence, il y a harmonie entre le yantra, le monde et l’être humainDe même que les neufs triangles représentent Mūla Prakṛti dans l’univers, ils sont également présents dans le corps humain sous la forme de ses neufs composants : os, moelle, sang, chair, muscle, semence, cheveux, cartilage, ongles. 

Une autre vue propose que les neufs triangles soient tous des formes de la déesse; les cinq triangles ascendants sont Vāmā, Jyeṣṭhā, Raudrī, Ambikā et Parāśakti, tandis que les quatre descendants sont Iccha, Jñāna, Kriyā et Śantā. 

Les triangles et les croisements sont significatifs, ils représentent l’union de Śiva et Śakti. Ils sont perçus comme autant de projections, de réflexions du point et du triangle central, le bindu qui est le siège de la déesse et de son union à Śiva. L’union de Śiva et de Śakti, est la pierre d’angle du graphisme de Śrī Yantra et de la philosophie de Śrī Vidyā, mais avec une emphase sur la déesse, puisque c’est elle qui rend manifeste la conscience, de même qu’elle conduit l’individu vers l’union avec la divinité. Le yantra possède quarante-trois triangles. Là où deux lignes se croisent, on parle de Sandhi (24), qui désigne aussi l’aube et le crépuscule ; là où trois lignes se croisent, on parle de marmas (28), ils sont les points vitaux du corps humain, connus de l’ayurvéda. 

La lecture la plus courante du Cakra est introvertie, de la périphérie vers le centre. Le yantra se compose de neuf cakras. Mais comme le mantra, il peut être divisé en trois sections principales. Bhūpura, les seize pétales et les huit pétales, représentent ensemble le cercle de Sṛṣṭi, la création, ou plutôt l’émanation de l’univers. Les trois cakras suivants, celui à quatorze angles, celui de dix extérieurs et celui de dix intérieurs, tiennent pour Pālana, la préservation, ou l’expansion de l’univers. Enfin les trois derniers cakras, celui de huit angles, le triangle central et le bindu central, tiennent pour la résorption.

Ces neufs cakras, ou cercles, sont également associés à Śiva et Śakti. Le Śrī Yantra possède quatre Śiva-cakras et cinq Śakti-cakras. Ils sont :

Le triangle central, la figure à huit angles nommée Aṣṭakoṇa, les deux figures à dix angles (antardaśara et bahirdaśara) et la figure à quatorze angles (caturdaśara), pour les Śakti-chakras.

Le bindu ou point central, les huit pétales et les seize pétales, et enfin bhūpura, pour les Śiva-chakras.

Chacun des cakras est le siège d’un aspect de la déesse, elle y est entourée des yoginīs, ses suivantes, qui sont des émanations partielles de la déesse représentant ses différents pouvoirs.

Selon le Saṃhāra krama, les neufs cakras sont :

Bhūpura, ou Caturaśra, en forme de carré, est constitué de trois lignes et possède quatre portes. Il représente le monde manifesté. On le nomme ‘Trailokyamohana cakra’ (le cercle qui fascine les trois mondes).

La déesse y est manifestée sous la forme de Tripurā et les yoginīs qui l’entourent sont du nombre de dix, elles sont les prakaṭayoginisElles sont liées aux dix directions et sont les siddhis. Huit sont généralement indiquées sur le yantra et sont les célèbres aṣṭasiddhis, les pouvoirs surnaturels que l’on obtient sur la voie de l’union (aṇimā, laghimā, mahimā, etc); on en nomme deux de plus pour les directions du haut et du bas (prāptisiddhi, sarvakāmasiddhi). Ces yoginīs sont adorées sur la ligne périphérique de Bhūpura. Elles sont de la couleur du sang et sont ornées du croissant de lune. Dans la main droite, elles tiennent le joyau cintāmaṇi, qui accorde aux dévots leurs désirs, et la main gauche est dans l’abhaya mudrā, qui enlève la peur. La ligne médiane est le siège de huit Śaktis : Brāhmi, Māheśvari, Kaumāri, Vaiṣṇavi, Vārāhi, Māhendri, Cāmuṇḍā, Mahālakṣmi. Elles ont le teint vert comme l’arbre Tamāla (qui est toujours vert ou bien «sont sombres comme son écorce»: les deux traductions sont possibles), et portent un sari rouge. Dans leurs mains sont un lotus et un récipient empli d’amṛta, le nectar d’immortalité. 

Dans la troisième ligne, à l’intérieur des deux autres, on médite sur les mudrā-śaktis. Elles sont les śaktis que l’on invoque par les dix mudrās secrets (Sarvasaṅkṣobhiṇi mudrā, qui agite tout, Sarvavidrāviṇi mudrā, qui chasse tout, Sarvākarṣiṇi, qui fascine tout, Sarvavaśaṅkari, qui subjugue tout, Sarvonmādini, qui rend fou, Sarvamahāṅkuśe, qui dirige tout, Sarvakhecari, qui se déplace dans l’air subtil, Sarvabījā, la graine de tout, Sarvayone, la matrice de tout, Sarvatrikhaṇḍe, qui est l’ensemble des trois parties. Elles tiennent dans leurs mains un crochet (comme ceux utilisés pour conduire les éléphants) et un lien, et sont les dikpālas, ou gardiennes des directions. Elles sont de grande beauté.

Le second cakra est Ṣoḍaśadala, de seize pétales. Il est nommé Sarvāśāparipūraka cakra, le cercle qui comble tous les espoirs. La déesse l’habite sous la forme de Tripureśī et sa retenue se constitue des Guptayoginis. Elles sont seize, comme les digits de la lune (quinze plus un qui transcende les autres) auxquels elles sont associées, ce qui leur vaut le nom de Nitya Kalā śaktis, les éternités. Elles sont d’une certaines façons les unités de temps. Comme elles font partie de la suite de la déesse, comme elles la servent, le temps est au service de la déesse. Elles comprennent une autre dimension de manifestation rendue évidente par le sens de leurs noms : celle qui manifeste l’impulsion du désir, l’intelligence, l’égo, le son, le toucher, la forme, le goût, l’odeur, la pensée, l’endurance, la mémoire, la parole, la semence, l’amṛta, le corps. Elles sont de couleur rouge, et comme les yoginīs précédentes, elles ont en main le crochet et la corde nouée. Ces yoginīs rendent manifeste le monde. Elles sont liées aux seize voyelles de l’alphabet sanskrit.

Le troisième cakra, ou āvaraṇa, est Aṣṭadala, représenté par huit pétales ; il est nommé Sarvasaṅkṣobhaṇa cakra (le cercle qui fait tout trembler). La déesse y est Tripurasundarī, sa suite est composée des Gupta-tara-yoginis. Elles sont huit forces de nature psychique, ‘Anaṅga’ (sans membre) : Anaṅga Kusuma (expression), Anaṅga Mekhala (perception), Anaṅga Madana (locomotion), Anaṅga Madanāture (élimination), Anaṅga Rekhe (plaisir), Anaṅga Vegini (rejet), Anaṅga Madanāṅkuśa (attention), Anaṅga Mālini (détachement). Il est évident qu’elles sont les énergies qui permettent le mouvement et l’action. Elles sont représentées par les huit groupes de consonnes: cinq groupes de consonnes, les sifflantes, les semi-consonnes, et Laṃ et Kṣaṃ. 

Ce cakra est le dernier appartenant au cycle d’émanation (Sṛṣṭi).

Le quatrième āvaraṇa est le Caturdaśara (forme à quatorze angles), appelé Sarvasaubhāgyadāyakacakra (le cercle qui accorde une bonne fortune).  La déesse y est Tripuravāsini. Elle est assistée par les Sampradāyayoginis (les yoginīs de la tradition) au nombre de quatorze. Elles sont Sarvasaṅkṣobhiṇi (qui agite tout), Sarvavidrāvini (qui chasse tout), Sarvākarṣiṇi (qui attire tout), Sarvahlāda-karini (qui se délecte de tout), Sarvasammohini (qui ravit tout), Sarvastambhini(qui paralyse tout), Sarvajṛmbhiṇi (qui relâche tout), Sarvavaśaṅkari (qui contrôle tout), Sarvarañjani (qui se distrait de tout), Sarvonmādini (qui rend fou), Sarvārthasādhini (qui accomplit tous les objectifs), Sarvasampattipūraṇi (qui accorde toutes les richesses), Sarvamantramayi (qui possède tous les mantras), Sarvadvandvamayi (qui possède toutes les dualités). Elles sont incarnées par les quatorze premières lettres de l’alphabet, de Ka à Ḍha. Ces śaktis sont de couleur rouge et ont un arc et des flèches en main. 

On associe également chacune de ces quatorze śaktis aux quatorze principaux nāḍīs, ou canaux subtils dans lesquels circulent le prāṇa et les différents types de vent, dans le corps humain. Dans le même ordre donné pour les śaktis, ils sont Alambuṣā nāḍī, Kuhū, Varaṇā, Hasti-jihvā, Yaso-valī, Yaśasvinī, Gāndhārī, Pūṣā, Śaṅkhinī, Sarasvatī, Iḍā, Piṅgalā et Suṣumnā. Ces nāḍīs en permettant la circulation des différents types de vents à travers le corps assurent les diverses activités biologiques (bâillement, digestion, excrétion, vision, éructation, mouvement) et l’activité spirituelle en ouvrant la voie à l’énergie Kuṇḍalinī (Iḍā, Piṅgalā, Suṣumnā).

Ce cakra est le premier du cycle de préservation.

Le cinquième cakra, le Bahirdaśara (figure externe à dix angles), est nommé Sarvārthasādhakacakra (le cercle qui accomplit tous les objectifs). La déesse qui y demeure est Tripurāśrī et ses assistantes sont les Kulottīrṇayoginis, elles sont au-delà de l’appréhension sensorielle. Elles forment un groupe de dix : Sarvasiddhipradā (qui donne toutes les siddhis), Sarvasampatpradā (qui assure toutes les richesses), Sarvapriyaṅkari (qui fait ce qui est aimable), Sarvamaṅgalakāriṇi (qui apporte le bon), Sarvakāmapradā (qui accorde tous les désirs), Sarvaduḥkhavimocani (qui retire toutes les souffrances), Sarvamṛtyupraśamani (qui contrecarre les attaques de la mort), Sarvavighnanivāriṇi (qui retire tous les obstacles), Sarvāṅgasundari (qui est belle de tous ses membres), Sarvasaubhāgyadāyini, (qui accorde la bonne fortune). Elles portent des vêtements blancs et leurs mains sont dans les positions de vara mudrā (qui accorde les souhaits) et abhaya mudrā (qui supprime la peur). Elles sont représentées par les lettres de Ṇa à Bha.

Le sixième āvaraṇaAntardaśara (la figure interne à dix angles), est appelé Sarvarakṣākara (qui protège de tout). La déesse est Tripuramālini. Les yoginīs sont au nombre de dix, les Nigarbhayoginis (yoginīs embryoniques) : Sarvajñā(qui sait tout), Sarvaśaktipradā (qui accorde tous les pouvoirs), Sarvaiśvaryapradā (qui accorde le commandement), Sarvajñānamayi (qui possède toute la connaissance), Sarvavyādhivināśini (qui défait toutes les maladies), Sarvādhārasvarūpā (qui supporte toutes choses), Sarvapāpaharā (qui enlève tous les péchés), Sarvānandamayi (qui possède toutes les béatitudes), Sarvarakṣāsvarūpiṇi (qui protège de tout), Sarvepsitaphalaprade (qui accorde les fruits de la volonté). Elles sont pâles comme le camphre et tiennent dans leurs mains un rosaire et un livre. Elles sont associées aux lettres de Ma à Ha et Kṣaṃ.

Cette figure est le cercle d’Agni puisque chacune des śaktis est également associée à un aspect du feu. Elle est le dernier cercle du processus de préservation.

Le septième cakra, Aṣṭāra (huit angles), est nommée Sarvarogaharā (qui retire les maladies). La déesse est Tripurāsiddhā, sa retenue est composée des huit Rahasyayoginis, les yoginīs secrètes. Elles sont Vaśini (qui subjugue), Kāmeśvari (qui commande au désir), Mohini (qui ravit), Vimalā (qui purifie), Aruṇā (de la couleur de l’aube), Jayini (qui conquiert), Sarveśvari (qui commande tout), Kaulini (Qui est de la famille). On les nomme aussi Vāgdevatā (divinités de la parole), elles tiennent dans leur quatre bras l’arc, les flèches, un livre et un rosaire de cristal. Leur peau est de la couleur du corail. Elles sont liées aux groupes de lettres anusvāra et visarga, les cinq groupes de cinq consonnes, les sifflantes et les semi-consonnes.

On relie parfois cette figure aux huit Vasus, mais aussi aux huit formes de Śiva (Rudra, Bhava, ĪśānaPaśupati,Bhīma, Ugra, Mahādeva).

C’est le premier cercle du processus d’absorption.

Le huitième cercle est le Trikona, le triangle central, appelé Sarvasiddhipradacakra, le cercle qui accorde tous les pouvoirs. 

Dans l’espace autour du triangle, on assoit les divinités guerrières (Ayudha devatā) : Pañcatanmātrasvarūpā – bāṇaśakti (śakti flèche, de la forme des cinq éléments subtils), Manorūpā – dhanu śakti (śakti arc de la forme de l’esprit), Rāgasvarūpā – pāśā śakti (Shakti nœud de la forme de l’émotion) et Krodhasvarūpā – aṅkuśa śakti (shakti crochet de la forme de la colère). Elles sont vêtues de rouges et dans leurs mains le crochet, le nœud, l’arc et les flèches ; une main présente le vara mudrā et l’autre l’abhaya mudrā. Leur front est marqué de rouge.

Là, assises sur les lignes qui constituent le triangle central, sont également les quinze Nityās : Kāmeśvari Nityā, Bhagamālini Nityā, Nityaklinnā Nityā, Bheruṇḍā Nityā, Vahnivāsini Nityā, Mahāvajreśvari Nityā, Śivadūti Nityā, Tvaritā Nityā, Kulasundari Nityā, Nityā Nityā, Nīlapatākā Nityā, Vijayā Nityā, Sarvamaṅgalā Nityā, Jvālāmālini Nityā, Citrā Nityā. La seizième Nityā, qui transcende les autres et est présente en toutes, est située sur le Bindu central en tant que Mahānityā. Elles sont représentées par les seize voyelles.

Les cotés du triangle sont également associés aux gurus, le parameṣṭhi guru, le paramaguru et le svaguru.

Le triangle est investi de Tripurāmbā et sa retenue est constituée des Atirahasyayogini (les yoginīs infiniment secrètes) nommément Kāmeśvari (Aiṃ), qui occupe la pointe descendante du triangle, a trois yeux, est jeune, présente les vara et abhaya mudrās, tient le nœud et le crochet ; Vajreśvari (Klīṃ), qui a trois yeux, tient un pot d’amṛta, le nœud et le crochet et occupe l’angle droit du triangle ; et Bhagamālini (Sauḥ) qui est décorée de la lune, a trois yeux, tient le nœud, le crochet, un rosaire et un livre, elle occupe l’angle gauche. 

Les trois grands pouvoirs d’émanation, expansion, résorption, sont ici concentrés. Kāmeśvari tient pour la Lune et Kāmarūpa pīṭha, Vajreśvari pour le Soleil et Pūrṇagiri pīṭha et Bhagamālini pour le feu et Jālandhara pīṭha. On les relie aussi aux trois modalités du langage (paśyantī, madhyamāvaikharī).

Il est le second cercle d’absorption.

On placera Parā, la modalité absolue du langage, et Uḍḍiyāna pīṭha (le plus important des pīṭhas pour le tāntrika) au centre du triangle sur le Bindu central qui constitue le neuvième cercle. Il est nommé Sarvānandamayacakra (le cercle qui possède toutes les béatitudes). Ce bindu, ou point central est aussi appelé Parabrahmasvarūpa, la forme du Brahma suprême, divinité ultime sans forme ni attribut, sans genre ni définition. Il est le siège de MahātripurasundariParabhaṭṭārikā. Elle est elle-même la Parāparātirahasyayogini, la yoginī infiniment secrète au-delà de l’au-delà. Ce titre révèle combien elle est subtile et tout englobante.

Le bindu est Śiva, il est la demeure de la déesse. Il est la réunion des deux principes statique et dynamique. Là sont unis Kāmeśvara et Kāmeśvarī. Il est le centre dont le monde émane et en lequel le monde se résorbe. Il contient en essence toute l’expansion du yantra et du monde. La déesse y est assise en tant que Mahātripurasundarī, en tant que Lalitāmbā et Mahānityā.

Là est le stade final du processus d’absorption. La déesse redevient une avec le dieu, l’apparente dualité est dissoute, la pluralité aussi. Le monde est donc dissout, il est absorbé en la divinité puisque la dualité n’existe pas en cette station.

On dit aussi que ce bindu central est composé de trois bindus, deux entiers et un composite. Il s’agit du concept de Kāmakalā que nous développerons ultérieurement.

Le Śrī Yantra est une analogie de l’univers, le Brahmāṇḍa ou œuf cosmique, le macrocosme. Le bindu est le Satyaloka, le triangle Tapoloka, Aṣṭakoṇa Janoloka, Antardaśara Maharloka, Bahirdaśara Svarloka, Caturdaśara Bhuvarloka, le premier cercle Bhūrloka, Aṣṭadala Atala, le cercle autour de Aṣṭadala Vitala, Ṣoḍaśadala Sutala, les trois cercles Talātala, la première ligne de Bhūpura Mahātala, la seconde ligne Rasātala et la troisième Pātāla. Ainsi les quinze mondes qui composent l’univers sont présents au sein du Śrī Yantra.

Comme il y a analogie entre le yantra et l’univers, il y a également analogie entre le yantra et le corps humain. Les différents cakras sont associés à différents éléments vitaux ainsi qu’aux divers centres psychiques du système des six cakras.

Dans la sādhanā, le pratiquant doit comprendre son corps comme le Sri Yantra même. Il réalise de cette façon son identité divine, son unité avec la déesse. Ainsi le Bindu central correspond au Brahmarandhra, le triangle central à la tête, et la forme à huit angles, au front. Le point entre les sourcils est le siège d’Antardaśara, la gorge est le Bahirdaśara et le cœur est le Caturdaśara. Le ventre au niveau du nombril est le cercle de huit pétales (Aṣṭadala), Le cercle qui entoure Aṣṭadala est la taille, le cercle de seize pétales (Ṣoḍaśadala) est Svādhiṣṭhāna cakra et les trois cercles qui l’entourent constituent Mūlādhāra. Les genoux sont la ligne intérieure de Bhūpura, les chevilles la ligne médiane et les pieds sont la ligne externe. L’individu est entièrement assimilé au yantra. Le Yoginī-Hṛdaya affirme: 

« Ce Śrī Yantra est vraiment l’essence du micro-cosmos et du macro-cosmos. Le sādhaka qui sait cela est le roi des yogis, il est semblable à Śiva, Viṣṇu et Brahmā. »

Une autre façon de créer la relation entre le corps et le yantra suit ce principe :

Bhūpura : Les dix gardiennes des directions, les mudrā-śaktis ou Dikpālas, appartiennent aux neuf cakras de l’individu et à l’ensemble. Il est ici question des six cakras de Mūlādhāra à Ājñā, plus le Sahasrāra (le centre aux milles pétales), le lamakāgra (le centre de la vison) et le bout du nez.

Ṣoḍaśadala : Nous avons déjà vu que les yoginīs présentent dans ce cercle représentent le désir, l’intellect, l’égo, le son, le toucher, la forme, le goût, l’odorat, la pensée, la résistance, l’expression, la semence, l’âme, le nectar d’immortalité, et le corps. Ici sont présents les éléments essentiels de la constitution de l’individu en tant qu’être cognitif, créatif, divin et manifeste.

Aṣṭadala : Ici sont présentes les qualités, les différents types d’action : expression, perception, locomotion, élimination et nécessités corporelles, plaisir, rejet, attention, détachement. Les yoginis de ce cercle rendent les différentes actions possibles par le mouvement et la disposition d’esprit.

Caturdaśara : On lie les quatorze triangles aux quatorze principaux nāḍīs qui assurent la circulation de l’énergie dans le corps. Ils sont Alambuṣā, Kuhū, Viśvodara, Varaṇā, Hasti-jihvā, Yaso-valī, Yaśasvinī, Gāndhārī, Pūṣā, Śaṅkhinī, Sarasvatī, Iḍā, Piṅgalā et Suṣumnā. Ces dix nāḍīs (Iḍā, Piṅgalā et Suṣumnā, Gāndhārī, Hasta-jihvā, Pūṣā, Yaśasvinī,Alambuṣā, Kuhū et Śaṅkhinī) sont localisés dans le corps physique : dans le même ordre, narine gauche, narine droite, entre les deux, œil gauche, œil droit, oreille droite, oreille gauche, bouche, sexe et anus. Ils permettent aux vents majeurs et mineurs de circuler à travers le corps et d’activer leurs différentes fonctions. Ces vents sont appelés prāṇa, apāna, samāna, udāna, vyāna, nāga, kūrma, kṛkala, devadatta et dhanañjaya. Leurs sièges sont respectivement dans le cœur, l’anus, le nombril, la gorge, et vyāna est répandu dans tout le corps. Ces cinq-ci sont les vents majeurs. Ils assurent la respiration et la digestion, l’excrétion, l’équilibre, la croissance, et le mouvement. Les vents mineurs assurent éructation, le battement des paupières, l’éternuement, le bâillement, et la circulation interne. Les quatre nāḍīs qui restent (Viśvodara, Varaṇā, Yaso-valī et Sarasvatī) assurent la circulation du prāṇa sur les côtés du corps. Ainsi ces nāḍīs sont essentiels au fonctionnement du corps.

On l’associe également avec Anāhata cakra au niveau du plexus solaire.

Antardaśara : Dans ce cercle les yoginīs sont associées aux espoirs, aux désirs, aux besoins de l’individu, elles ramènent à ses conditions et nécessités de vie. On le situe dans la gorge, assimilé à Viśuddhi cakra. 

Bahirdaśara : Ici, les dix yoginīs renvoient aussi aux dix feux intérieurs qui assurent les fonctions de l’élimination, la digestion, la maintenance, la chaleur, inondation de rasa (salive) pour aider la digestion, sécrétion de bile, mastication de la nourriture, bâillement, et évanouissement. On le situe entre les sourcils.

Aṣṭakoṇa : Les angles sont ici représentatifs des principales sensations ou tendances : froid, chaud, joie, douleur, désire, sagesse, activité, inertie. On le situe dans le front.

Trikoṇa : Il tient pour les trois centres du feu, de la lune et du soleil, tous présents dans le corps humain. Les trois angles sont également les trois modalités de la parole : paśyantī, madhyamā et vaikharī. Il tient pour la tête.

Bindu : Le bindu est associé au Merudaṃḍa, l’axe vertébral à travers lequel passent les trois nāḍīs principaux Iḍā, Piṅgalā et Suṣumnā. Il est également associé aux trois nāḍīs eux-mêmes puisqu’il est composé de trois points. Il est encore associé au Brahmarandhra, le sommet de la tête.

Le yantra est une figure complexe autant que complète. La cohérence, le raffinement et l’harmonie du yantra et de la philosophie qu’il comporte en font sûrement le plus parfait et le plus abouti des yantras. Son analogie poussée avec le corps et l’univers montrent l’inspiration à l’origine de cette construction et son unicité.

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