Il n’y a aucun texte dans la tradition védique de l’Inde qui n’évoque les bandhas excepté les traités de Haṭha yoga.
C’est dire l’importance du placement des bandhas dans la pratique. Les bandhas qui sont par exemple décrits dans la Haṭha Pradīpikā, (la petite lumière sur le Haṭha yoga) sont des sceaux, des ligatures. Ils permettent de sceller et réveiller l’énergie endormie dans le corps (Kuṇḍalinī). La Kuṇḍalinī est cette énergie qui selon les traditions se situe plus ou moins bas dans le corps, du bassin à l’estomac. Elle est symbolisée par un serpent enroulé de trois tours et demi. Cette énergie doit donc être à la fois libérée et maitrisée.
La pratique doit permettre une ascension de cette déesse appelée aussi Śakti dans la tradition tantrique à travers le canal central de l’être Suṣumṇa et permettre de relier le manifesté au non manifesté, le dense au subtil. Autrement dit nous sommes une analogie du cosmos qui cherche à retrouver cette nature profonde grâce à l’outil de la pratique (posture, souffle concentration et bandhas).
Les bandhas sont associés à des mudrās qui sont des gestes des mains, ou des postures spécifiques (Viparīta karaṇī mudrā , Mahā mudrā…).
Les 4 bandhas importants du corps sont jīva bandha (contact de la langue vers le palais), jālandhara bandha (contact du menton vers le sternum), nābhi bandha (contraction des abdominaux de la zone ombilicale) , uḍḍiyāna bandha (aspiration de tout l’abdomen vers le haut) et mūla bandha (contraction des sphincters anaux et urinaires).
On peut dire que les bandhas ont d’abord un rôle bien physique dans le sens où ils servent de point de protection dans le corps, jālandhara gère les pics de tension artérielle, jīva renforce la pression du menton dans jālandhara, nābhi raffermit la sangle abdominale, uḍḍiyāna masse le diaphragme et stimule agni le feu digestif. Et mūla bandha prévient des descentes d’organes.
Mais évidemment bien au-delà de ce rôle physique il y a cette volonté de transmuter l’énergie grossière des voies basses vers les sphères supérieures de l’être et même vers l’espace sans forme au dessus du crâne.
Kuṇḍalinī fait partie d’une tradition tantrique et ésotérique. Ésotérique signifie ce qui est secret. C’est un enseignement secret, caché dans le sens où il n’est pas donné de façon évidente à tout le monde, il demande une grande volonté, un enseignement long et rigoureux qui est semé d’embuches . C’est pour cela que les textes sont souvent écrits de façon allégorique et poétique, il demande une finesse de lecture et d’interprétation.
Le tantra donne toute une panoplie de rituels et de pratiques formant une cartographie d’un corps yogique analogie du cosmos qui est fait de nāḍīs (canaux), cakras (roues) de nectar lunaire, d’énergie solaire etc…ces rituels sont des rituels qui sont devenus au fil des siècles des rituels d’intériorités permettant une transformation alchimique du corps du Yogi en expérience spirituelle de sa nature profonde, paisible et lumineuse.
Voici deux extraits de textes qui décrivent cette ascension de Kuṇḍalinī et le rôle de certains bandhas ou mudrās.
L’esprit est dissous dans la suṣumnā et le souffle ne circule plus. Pour le yogi,qui a asséché ses impuretés,le voyage commence alors. Avec force, il doit faire monter l’apāna au moyen d’une contraction: les yogis appellent ceci le « verrou de la base» (mūlabandha). Lorsque l’apāna monte et va, accompagné du feu, à l’emplacement du prāṇa – le feu, le prāṇa et l’apāna s’étant ainsi promptement réunis –, la Kuṇḍalinī endormie, enroulée sur elle-même, échauffée par le feu et mise en mouvement par le souffle, fait entrer son propre corps dans la bouche de la suṣumnā.(…)
Gorakṣa-Śataka, 74-7
Après avoir placé le verrou de la gorge, on doit maintenir le souffle vers le haut. Comme un serpent frappé avec un bâton prend la forme d’un bâton, la Śakti Kuṇḍalinī se redresse aussitôt. Alors se produit «l’état de mort entre les deux cavités».
Haṭha-Pradīpikā 3.12 (mahāmudrā)
Voilà comment les textes décrivent la pratique et les effets. Nous voyons bien que ces écrits nécessitent l’accompagnement d’un maître ou d’un enseignement qui peut transmettre la profondeur du sens décrit et initié à la pratique. Nous voyons aussi que le Yoga n’est pas une simple activité physique mais considère le corps comme le foyer d’un feu spirituel qu’il convient d’attiser en permanence.
Les bandhas sont donc des socles de la pratique qui comme les autres éléments du Yoga doivent se placer régulièrement et de façon appropriée. Alors l’expérience spirituelle de Kuṇḍalinī peut se manifester dans le corps.