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Le Soufi, un Yogi de l’islam ?

Le soufisme est une branche mystique de l’Islam. Eric Geoffroy, islamologue et membre d’un ordre soufi, nous donne ces définitions du mot soufisme. Il y a plusieurs significations possibles, deux sont possibles d’un point de vue linguistique :

  • Une déclinaison du verbe arabe sûfya qui signifie «il a été purifié». Ici le but du soufisme serait donc de retrouver l’état originel dépouillé de tout conditionnement.
  • La seconde définition part de l’étymologie du mot sûfi dérivé de sûf qui signifie la laine. Cela fait référence à un fil, une chaîne initiatique éternelle de maître à disciple fondée sur une transmission ésotérique rappellant la paramparā, chaîne de transmission ininterrompue des enseignements du Hatha Yoga.

Le soufisme est en grande partie sunnite mais aussi chiite. S’étant développé dans un environnement sunnite il fait référence à la Sunna. La sunna, سنة, «loi», «tradition» désigne la tradition et les pratiques du prophète islamique Mahomet, et constitue un modèle à suivre pour la plupart des musulmans.

Ayant aussi bien une composante théologique que pratique, le soufisme s’étend du Sénégal à l’Indonésie, des Balkans au Maghreb, du proche-Orient à l’Andalousie.

Le soufisme qui s’est développé sous forme de confrérie au XIIIème siècle est d’abord le cheminement intérieur de personnes qui par l’intermédiaire de pratiques corporelles, de souffle, de danse, de lecture et de musique donne un accès direct à la source de vie.

C’est là que l’on peut faire un rapprochement avec les pratiquants du Hatha Yoga et leur discipline spirituelle liée aux corps. 

Parmi les soufis les plus célèbres ont pense tout de suite aux fakirs, faqīr signifiant «pauvre». Ces fous de dieux cherchent l’extase mystique par des pratiques parfois extrêmes comme celles des Saddhus, les hommes saints indiens, notamment par la danse et la musique ou même le Yoga. Généralement on retient plutôt le côté spectaculaire de la pratique de ces fakirs presque circassiens (corps transpercé, clous etc…) que son aspect de renoncement, et pourtant c’est avant tout une pratique quotidienne dévouée au divin.

Pour illustrer certaines analogies entre Yogi et Soufi, je vais évoquer une deuxième communauté qui est celle bien connue des Derviches, connue notamment grâce aux célèbres derviches tourneurs.

Un Derviche, du persan درويش, derviš, «pauvre, mendiant», est une personne qui suit la voie ésotérique soufie Tarîqa,«voie, méthode», requérant l’acceptation du dénuement comme voie de recherche spirituelle, ainsi que le choix de vie d’une pauvreté et d’une austérité extrêmes. Les communautés derviches sont présentes partout au Moyen Orient (Iran, Syrie, Turquie) et jusqu’en Albanie (par exemple les confréries Bektachies).

Je vais présenter la plus connue des confréries soufies, celle du poète persan Djalâl ad-Dîn Rûmî (1207-1273) .

C’est le fondateur de l’ordre soufi Mevlevi, celui des derviches tourneurs. Leur façon de voir la vie spirituelle rappelle à bien des égard celle des Yogi.
« La danse cosmique » ou la cérémonie du Sama est une analogie du cosmos.

Les musiciens, notamment le joueur de ney, et les danseurs créent un système solaire ou les planètes symbolisées par les danseurs tournent autours du soleil symbolisé par le maître de cérémonie qui psalmodie. Une main tournée vers la terre, l’autre vers le ciel, les danseurs sont le relais entre deux mondes. Et leur grand chapeau sur la tête évoque une pierre tombale qui signifie que le derviche est mort une fois, pour renaître à sa vie spirituelle.

Bien entendu tout ceci fait penser à la doctrine du Yogi dans laquelle il y a une analogie entre le corps yogique et le cosmos. Tout ce qui est inscrit dans l’être humain est inscrit dans une cartographie, dans le système interne qui est le reflet de l’infiniment grand. Dans la cartographie du yogi il est question de cakra (roues),  nāḍī (rivières ou canaux) suṣumṇā (canal central), de féminin, de masculin etc…

Yoga signifie union et le Yogi cherche à aller de l’âme individuelle Jīvātman vers l’âme universelle Brahmātman.

Et quoi de mieux pour montrer que l’esprit du soufi est le même que celui du Yogi ou de la Yoginī que de citer un poème de Rumî :

« Ô jour, lève-toi,
tes atomes dansent,
les âmes, éperdues d’extase, dansent,
A l’oreille, je te dirai où entraîne la danse,
Tous les atomes qui se trouvent dans l’air et dans le désert,
Sache bien qu’ils sont épris comme nous,
Et que chaque atome, heureux ou misérable,
Est étourdi par le soleil de l’âme universelle ».

Djalâl ad-Dîn Rûmî

On peut prolonger la comparaison avec un autre poème de Rumi qui évoque l’âme de la flûte ney comme véhicule vers le divin et retours vers la source.

Pour le Yogi, la maîtrise du prāṇa, le souffle vital, est axial dans sa démarche spirituelle. Le souffle comme conscience-énergie. Et ce souffle fait penser au souffle de la flûte ney ici.


« Ecoute le ney (la flûte de roseau) raconter une histoire, il se lamente de la séparation :  » Depuis qu’on m’a coupé de la jonchaie, ma plainte fait gémir l’homme et la femme.  » Je veux un cœur déchiré par la séparation pour y verser la douleur du désir. « Quiconque demeure loin de sa source aspire à l’instant où il lui sera à nouveau uni. « Moi, je me suis plaint en toute compagnie, je me suis associé à ceux qui se réjouissent comme à ceux qui pleurent.  » Chacun m’a compris selon ses propres sentiments ; mais nul n’a cherché à connaître mes secrets.  » Mon secret, pourtant, n’est pas loin de ma plainte, mais l’oreille et l’œil ne savent le percevoir.  » Le corps n’est pas voilé à l’âme, ni l’âme au corps ; cependant, nul ne peut voir l’âme.  » C’est du feu, non du vent, le son de la flûte : que s’anéantisse celui à qui manque cette flamme !  » C’est le feu de l’Amour qui est dans le roseau, c’est l’ardeur de l’Amour qui fait bouillonner le vin.  » La flûte est la confidente de celui qui est séparé de son Ami : ses accents déchirent nos voiles.  » Qui vit jamais un poison et un antidote comme la flûte ? Qui vit jamais un consolateur et un amoureux comme la flûte ?  » La flûte parle de la Voie ensanglantée de l’Amour, elle rappelle l’histoire de la passion de Madjnūn.  » A celui-là seul qui a renoncé au sens est confié ce sens : la langue n’a d’autre client que l’oreille.  » Dans notre affliction, les jours sont devenus moroses ; nos jours cheminent avec les peines brûlantes.  » Si nos jours se sont enfuis, qu’importe ! Demeure, ô Toi à la sainteté de nul n’est comparable !  » Quiconque n’est pas un poisson devient abreuvé de Son eau ; quiconque est privé du pain quotidien trouve la journée longue. Celui qui n’a point d’expérience ne peut comprendre l’état de celui qui sait ; mes paroles doivent donc être brèves. Adieu ! » »

Djalâl ad-Dîn Rûmî

On peut voir aussi cette démarche soufie comme la Bhakti, le Yoga de la dévotion. L’amour divin comme réalisation du Soi.

A travers les rites initiatiques, des expériences d’élévation et une ascèse, les adeptes cherchent à fusionner avec Dieu, pour ne faire plus qu’un avec lui. Ils pratiquent en séance collective le Zikr, la répétition de l’un des quatre-vingt-dix neuf noms d’Allah.

Ces séances de chant, peuvent faire penser aux récitations de mantra indiens où un retour à la vibration primordiale est recherché.

Pour conclure, on peut dire qu’il y a de grandes convergences entre Yogi et Soufi, la principale étant une recherche spirituelle fondée sur une quête intérieure authentique qui passe par la voie du corps. Le corps devient alors, une antenne, un relais du cosmos ou des forces interagissent et se doivent à la fois d’être maîtrisées et libérées.

Certes il y a des divergences dans les codes, l’organisation sociale, et surtout dans leurs origines hindoues et musulmanes, mais hindous et musulmans ont toujours été côte à côte, pour le meilleur et parfois le pire. Et ces traditions se sont influencées. Ainsi nous reste alors cette voie de salut, à la fois sincère et poétique, et qui réenchante le monde.

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