L’astrologie a toujours fait partie de la vie des Hommes et plus particulièrement en Inde. Ainsi, le jyotiṣa prend racines dans de nombreux classiques indiens.
La littérature astrologique est bien entendu riche de textes concernant tout autant l’interprétation des astres que les calculs astronomiques. Il est courant de citer certains ouvrages phares comme le Bṛhat Parāśara Horā śāstra, le Praśna Mārga, le Bṛhat-Samhitā et bien d’autres encore.
Cependant, les premières traces de l’utilisation de la science de l’astrologie remonte aux prémices de la civilisation harappéenne.
Au fil de cet article, j’ai choisi de vous faire découvrir quelques œuvres, sous le prisme du jyotiṣa. Les dates et interprétations de certains ouvrages ou évènements historiques sont sujets à débat, auquel je ne prendrai pas part dans ces lignes. J’espère simplement vous aider à situer l’astrologie et son utilisation au travers du temps ; vous donner un contexte historique, mais surtout, l’envie de découvrir cette science millénaire ; sans pour autant prendre part aux multiples débats et théories.
Les premières traces dans les Védas
Discipline annexe, le jyotiṣa fait partie des 6 vedāṅgas, ou membres des Védas. Il n’est alors pas étonnant de retrouver de premières traces astronomiques dans cette compilation de quatre ouvrages. Ce corpus de textes, compilé par Vyāsa, est une retranscription de connaissances qui étaient autrefois transmises oralement, entre un guru et son disciple.
Vyāsa est le fils de Parāśara, parfois considéré comme le père de l’astrologie.
Le Ṛgveda
Le Ṛgveda est probablement, si ce n’est, le plus ancien ouvrage littéraire de l’humanité.
Bien que quelques historiens modernes situent la période des Védas entre 1500 et 1000 av. J.-C. d’autres considèrent ce savoir beaucoup plus ancien (environ 2000 à 5000 ans av. J.-C. , parfois jusqu’à -8000 ans).
Les Védas naissent au cœur de la civilisation Sárasvatī, ancien peuple de l’Inde ayant vécu autour de 7 rivières (Sárasvatī-nadī́) et deux grandes villes principales : Harappa et Mohenjodaro (actuelle région du désert du Thar).
« Les huit points de la terre que son éclat a illuminés, trois régions désertiques et les sept rivières | Dieu Sauveur aux yeux d’or est venu jusqu’ici, donnant des trésors de choix à celui qui adore. » (Ṛgveda Maṇḍalas 1 – Hymne 35 verset 8)
Suite à divers changements : probablement géologiques (assèchement, sécheresse, activité sismique), et/ou suite à une invasion générant des conflits, la civilisation Sárasvatī fut poussée à partir en direction de la Vallée du Gange autour de 1900 av. J.-C. .
Les causes de la fin de cette civilisation ont été et sont encore très débattues. Peut-on interpréter ses faits de façon historique ou sont-ils plutôt des représentations symboliques ? Les spéculations sont nombreuses.
Les descriptions astronomiques dans le Ṛgveda
Le Ṛgveda Maṇḍalas 1 – Hymne 164 décrit ceci :
« 11 – Formée de douze rayons, non cachée, la roue originelle fait le tour du Ciel, suivant l’Ordre. Ici se tenaient, par paires, sept cent vingt cordes.
12 – Ils l’ont appelé, dans la partie la plus vieille du Ciel qui s’étend partout, le Père à cinq pieds et douze formes. Les autres ont dit que lui, le Brillant, est monté sur le Char à sept roues et orné de six rayons.
13 – Sur cette roue a cinq rayons qui tourne, tous les vivants se tiennent. Son essieu, lourdement chargé, ne se casse jamais, ayant le même centre.
14 – La roue, munie d’une jante, tourne en s’élevant sans s’user. Les dix, attelés, l’amènent. Les yeux du Soleil traversent le Monde Intermédiaire. Tous les vivants alentours en sont dépendants. »
Cet extrait fait note des « douze rayons» symboles des douze mois de l’année et les « sept roues » étant la représentation des sept jours de la semaine. La représentation de Sūrya sur un chariot à une roue, tiré par sept chevaux symbolise la « roue originelle » du verset 11 ou bien encore « la jante » du verset 14. L’importance du Soleil est traduite dans le dernier passage où il est mentionné que tous les êtres vivants en sont dépendants. Le verset 13 s’interprète comme une explication du système solaire.
Le Maṇḍalas 10, Hymne 22, complète ainsi :
« 14 – Cette terre est dépourvue de mains et de jambes, mais elle va de l’avant. Tous les objets au-dessus de la terre se déplacent également avec elle. Il se déplace autour du soleil. »
Concernant les phénomènes astronomiques
Quelques phénomènes astronomiques majeurs sont détaillés dans le Ṛgveda.
• Les éclipses
Le Maṇḍalas 5 – Hymne 40 verset 5 décrit une éclipse sous ces termes :
« Sūrya, quand le descendant d’Asura, Svarbhānu, t’a transpercé de ténèbres | Toutes les créatures ressemblaient à quelqu’un qui est déconcerté, qui ne connaît pas l’endroit où il se trouve. »
Svarbhānu pouvant se référer au nom de Rāhu, le nœud ascendant personnifié, cause des éclipses et Sūrya le Soleil.
C’est la première description qui est faite d’une éclipse solaire. Incroyablement avancés en astronomie, les ṛṣis décrivent cette éclipse comme différente de la nuit étant donné que le soleil garde ici ses fonctions.
« À quelle heure tu as frappé la magie de Svarbhānu qui s’est répandue sous le ciel, ô Indra | Par sa quatrième prière sacrée, Atri découvrit Sūrya caché dans une obscurité qui restait sa fonction. » (Ṛgveda Maṇḍalas 5 – Hymne 40 verset 6)
• Les comètes
Le Ṛgveda fait aussi mention d’une comète : kûcijjâyate sanayâsu navyo vane tasthau palito dhûmaketuh. | asnâtâpo vr.s.abho na praveti sacetaso yam pran.ayanta martâh. ||
« Il se lève toujours frais dans un combustible ancien : bannière de fumée, gris, il fait du bois sa demeure. Pas de nageur, Dirigeant, il se presse à travers les eaux, et à sa place des mortels le portent. » (Ṛgveda Maṇḍalas 10 – Hymne 4 verset 5)
Dhûmaketuh est décrit comme une barrière de fumée, grise, faisant du bois sa demeure. Nous pouvons facilement visualiser l’image du feu et de la fumée qui se dégage de la comète et l’interpréter ainsi.
Détails astronomiques dans l’Arthavaveda
Les 28 nakṣatras, ou maisons lunaires, font, elles, leur apparition dans l’Arthvaveda, Maṇḍalas 19 – Hymne 7 et 8 :
« 1 – Les lumières brillantes qui brillent ensemble dans le ciel, qui à travers le monde glisse avec un mouvement rapide. Et les jours, et le firmament avec des chants que je vénère, cherchant le Vingt-huit fois en sa faveur.
2 – Krittikās, Rohinī soyez prompt à m’entendre ! Que Mrigasiras me bénisse, aide-moi Ārdrā! Punarvasu et Sūnritā, loyal Pushya, le Soleil, Asleshās, Maghā conduisez-moi en avant!
3 – Que ma béatitude soit Svāti et la bienveillante Chitrā, mon Premier juste Phalgunis et présent Hasta. Rādhas, Visākhas, gracieuse Anurādhā, Jyeshthā et l’heureuse étoile indemne Mūla.
4 – Que la nourriture soit antérieurement accordée aux Ashādhas; laissez ceux qui suivent m’apportez force et vigueur. Avec un mérite vertueux que m’accorde Abhijit ! Sravana et Sravishthās faites-moi prospérer.
5 – Satabhishak offre moi une grande liberté, et que les deux Proshthapadas me gardent en toute sécurité. Revati et les Asvayujas m’apportent de la chance, et les Bharanis des richesses abondantes!»
L’hymne 7 continue :
« 1 – Bienveillantes pour moi toutes ces demeures lunaires dans lesquelles la Lune en se déplaçant fait honneur. Tout ce qui est dans le ciel, l’air, les eaux, sur la terre, sur les montagnes, dans les régions célestes.
2- Propice, puissant, que les huit et vingt ensembles me distribuent ma part de profit. Que le profit et la richesse soient les miens, et la richesse et le profit ! Que le jour et que la nuit soit rendue l’adoration!
3 – Juste soit mon coucher de soleil, juste mon matin et le soir et le jour avec aubaine et bons présages; Avec bénédiction et succès, l’immortel Agni, va vers le mortel et reviens en se réjouissant.
4 Excitation et invoquant les pleure, éternuements et réprimandes de mauvais augure, Tous les sons de pichets vides envoyés au loin, Savitar!
5 – Puissions-nous échapper à un éternuement maléfique, profiter de l’éternuement de la chance heureuse, Et faite que nos narines sentent cette agréable odeur de parfum qui se déversent.
6 – Ces flammes de Brāhmanaspati portées à tous les quartiers du vent, Tournez-les tous jusqu’ici, Indra, et rendez le -moi très gracieux. » – (Maṇḍalas 19 – Hymne 7 de Arthvaveda)
Le Taittirīya Brāhmaṇa, commentaire du Kṛṣṇa Yajurveda, fait lui aussi, mention des 28 demeures lunaires.
« [Si] il y a une personne qui aime les richesses et pense que « que tout le monde doit me donner des richesses », alors, il devrait adorer Agni dans l’étoile Phalguni. Pour l’étoile Phalguni, la divinité est Aryaman. Il donne dans la charité [et] on dit qu’il est sacré (aryama). Les gens désirent lui donner des richesses ». Taittiriya Brahmana Ashtaka 1, Prapathaka 1, Anuvaka 2, Khandika 4
De nombreux autres détails portent sur l’astrologie et les connaissances astronomiques de l’époque.
Par exemple, le dieu Soma est souvent mentionné dans les Védas et ses commentaires. Il représente la Lune, mais est aussi considéré comme la personnification de l’astre sous sa forme de divinité. Soma représente l’ambroisie, l’essence de la pensée universelle, souveraine du monde des constellations.
Nous constatons une réelle connaissance de système solaire, et des mouvements des astres autour du soleil par les sages de l’époque des Védas. Les détails astrologiques présents dans les Védas sont des points d’appuis intéressants à prendre en considération dans l’étude de l’histoire de l’Inde mais aussi celle de l’humanité. Ils nous fournissent des indications clés, permettant une datation plus ou moins approximative de ces classiques, tout en nous offrant une certaine compréhension des évènements historiques majeurs de la civilisation harappéenne, de sa culture et des peuples voisins.
L’astrologie au cœur de Mahābhārata
Une datation de l’Iliade indienne
Il existe de nombreux débats sur la datation du Mahābhārata. L’appréciation de la fin du la guerre du Mahābhārata et de la mort de Kṛṣṇa est importante à étudier puisqu’elle représente la fin de l’âge de bronze, Dvâpara Yuga, et le début de l’âge de fer ou Kaliyuga.
Selon les astrologues BV Raman et KN Rao notamment, Kṛṣṇa aurait vécu 126 ans et quitté la terre 36 ans après la fin de la guerre, soit en 3102 av. J.-C.
Pourquoi 3102 av. J.-C. ?
Les jyotiṣas s’accordent pour situer le point vernal à 6.15 degrés poissons pour le 20e siècle.
Voici quelques détails sur le calcul de l’équinoxe de printemps prise en compte dans la datation du Mahābhārata :
Il nécessite à la terre environ 26000 ans pour voyage à reculons à travers l’ensemble des 12 signes du zodiaque; soit 360°.
26000/360 = 72.
Il faut donc environ 72 ans pour que l’équinoxe de printemps change de signe (à reculons, donc un signe en amont). C’est ce qu’on nomme la précession des équinoxes. Cette même précession qui différencie l’astrologie sidérale (jyotiṣa) de l’astrologie tropicale (plus connu dans le monde occidental).
Si nous additionnons 2000 + 3102 nous obtenons 5102 ; divisé par les 72 ans de la précession = 71°
En remontant la gradation des signes (de 30° par signe) à partir de 6.15° poissons, nous arrivons à 17° taureau, correspondant au nakṣatras de rohinī (aldebaran).
Nous pouvons donc estimer l’équinoxe de printemps à 17° taureau rohinī à l’époque de Kṛṣṇa.
Vyāsa décrit dans le Mahābhārata un transit de saturne dans ce même nakṣatra ; qui mènera à la bataille de Kurukshetra. L’application d’astronomie Stellarium nous confirme le transit saturne en rohinī en 3066 av. J.-C.; soit 36 ans avant le départ de Kṛṣṇa.
« Rohiṇīṃ pīḍayanneṣa sthito rājañśanaiścaraḥ. vyāvṛttaṃ lakṣma somasya bhaviṣyati mahadbhayam » : Saturne tourmente rohinī, ô roi. Le signe de la Lune a disparu et apportera destruction dans le futur.
Les comètes dans le Mahābhārata
On retrouve la mention de dhûmaketuh dans l’épopée de Kṛṣṇa.
« Dhūmaketurmahāghorāh Pushyam chakramya tishthati, senayorasivam ghoram karishyati mahāgraha. » : Une comète redoutable s’est emparée du nakṣatra puṣyā et y est stationnée ; ce grand graha va causer de grands ravages aux deux armées.
Quelques jyotiṣas et indologues identifient la comète dans le Mahābhārata comme la comète de Halley (1P/Halley).
Les calculs astronomiques présents dans le Mahābhārata offrent un potentiel d’étude fascinant notamment en ce qui concerne la datation de ce texte phare de l’Inde. En corrélation avec les instruments astronomiques modernes, la prise en considération des annotations astrologiques nous permet de contextualiser et positionner cet évènement majeur sur la frise du temps.
En conclusion
De nombreux autres textes, comme les purāṇas ou encore les upaniṣads, pour n’en citer que deux, mentionnent eux aussi l’astrologie, les planètes, les constellations et des évènements célestes ponctuels. Cet article très succinct peut cependant nous amener à conclure ceci : l’étude et la contextualisation de ces textes traditionnels nous guident indéniablement vers l’interprétation de jyotiṣa.
Que l’on reconnaisse ces évènements comme des faits réels ou des mythes symboliques, l’astrologie s’avère être un pilier fondamental à notre compréhension de l’histoire et de la culture de l’Inde, mais aussi du monde.
Les débats autour de la datation des textes sacrés sont légitimes et passionnants.
L’étude de ces œuvres historiques et mythiques associée au jyotiṣa, pourrait servir dans la compréhension de notre passé en tant qu’humanité mais aussi nous guider en ce qui concerne notre futur.
Sources :
- Understanding the Mahabharata through Nakshatras and Grahas
- The Vedas, traduction de Ralph T.H Griffith
- Traduction française du Ṛgveda par Hervé Le Bévillon
- Vedic mythology of solar eclipse and its scientific validation, Indian journal of tradition and knowledge
- Taittiriya Brahmana (Volume 1), traduit par R.L. Kashyap
- Le Mahabharata, édition Albin Michel
- Notable Horoscopes de B.V Raman
- Mythes et dieux de l’Inde par Alain Daniélou
- Comet tales from India. 1: ancient to medieval Ramesh Kapoor
- J. L. Brockington (1998). The Sanskrit Epics