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Mokṣa dans le Hathayoga, mythe ou réalité ? (partie 2)

Dans les Upaniṣad du Yoga, la Délivrance est Béatitude éternelle et stable.

C’est l’union définitive de la Déesse et son divin époux, comme le dit Jean Varenne, une fois que la belle captive, grâce aux techniques de yoga, a été déliée.

«On verra à les lire que les Upaniṣad ici traduites envisagent plutôt cet état final comme une cohabitation avec le Suprême Seigneur et le comparent volontiers à l’union béatifique de la Déesse avec son divin époux. Il y là quelque chose qui rappelle (ou rejoint) les enseignements constants de la Bhakti: l’âme dévote mérite, lorsqu’elle a réalisé la perfection, de s’unir à jamais avec Dieu, à la façon d’une épouse (c’est le thème bien connu de Kṛṣṇa et des bergères).

Pourtant dans la mesure où cette béatitude est éternelle, stable, illimitée , indescriptible, etc, elle ressemble beaucoup à la Délivrance (Mokṣa) prônée par les grands Darśana . Le terme même de « Délivrance » est d’ailleurs constamment employé par les auteurs de nos Upaniṣad chez qui la dévotion, il faut y insister, n’est toujours qu’indirecte : si l’énergie intérieure (Kuṇḍalinī aspire à s’élever jusqu’au séjour divin où elle s’unira avec le Seigneur, le moyen pour y parvenir n’est pas la prière, ni même la méditation sur une image de Śivā (ou Vishnu) mais un ensemble de techniques ayant pour but de trancher les liens qui retiennent l’âme captive.» 5

Pour le Gorakṣaśataka, le Connaisseur du Yoga lorsqu’il a atteint le plus haut niveau ne distingue plus de différence, il a atteint «la Non-dualité pour toujours», il a été unifié par le Samādhi :

« Il n’est pas dévoré par le temps, il n’est plus ligoté par l’action, il n’est plus vaincu par qui que ce soit, le yogin unifié par le Samādhi .

Les connaisseurs de l’Absolu savent que l’Absolu (Brahman) est transcendantalement pur, immuable, éternel, sans action, sans attributs, immense et qu’il consiste en un bonheur et une intelligence infinis comme le ciel.

Comme le lait versé dans du lait, du beurre clarifié dans du beurre clarifié, du feu dans du feu (ne font plus qu’un), de même au niveau le plus haut, le Connaisseur du Yoga atteint la Non-dualité pour toujours. »

Svātmārāma, l’auteur de la Haṭhapradīpikā, cite quant à lui, toutes les différentes appellations utilisées usuellement dans le Nath Sampradaya , dans le Yoga de Patañjali, dans le Laya-yoga, dans le Saṃkhyā , par les Védantins, dans le tantrisme hindou et bouddhique, dans la Katha Upanisad, par les Dvaitin, par les Advaitin. Selon lui toutes ces appellations sont synonymes et s’appliquent à la même Réalité:

«Yoga royal (Raja Yoga), Samādhi, état au-delà du manas (Unmanī ), extinction du manas (Manonmanī), immortalité (Amaratva), dissolution (Laya), Réalité (Tattva), vide et non vide (Śūnyāśūnya), suprême séjour (Para Pada), suspension (des opérations) du manas (Amanaka), non dualité (Adwaita), état sans support (Nirãlamba), état immaculé (Nirañjana), libération des cette vie (Jīwana Mukti), état naturel (Sahajā), quatrième état (Turyā) sont tous des mots synonymes» 6

La Chāndogya-upaniṣad rajoute :

« Cent une sont les nadi du cœur

D’entre elles une seule conduit jusqu’au sommet du crâne.

S’élevant par celle-là, on va à l’immortalité.

Par les autres on sort dans toutes les directions,

On sort dans toutes les directions.»

Dans le Vijñāna-bhairava-tantra, le Samādhi est permanent. On l’atteint après la réalisation des autres Samādhis :

«Écoute cette tradition, O déesse. Je vais la présenter en entier. Rien qu’en immobilisant les yeux, l’isolement (Kaivalya) survient aussitôt. Ayant obturé les deux oreilles ainsi que les ouvertures inférieures, méditant sur ce qui n’a ni voyelle ni consonne, on entre dans l’éternel Brahman.

Se tenant dans un trou profond tel qu’un puits, et regardant vers le haut, puisque l’esprit devient entièrement libre de toute pensée, la dissolution complète de l’esprit se manifeste immédiatement. Où que l’esprit aille, à l’extérieur ou même à l’intérieur, là se trouve l’état de Śiva. Puisque celui ci est omniprésent où l’esprit pourrait il aller?» 7

Dans la Sivasaṃhitā, en se concentrant sur la lumière, l’état suprême est atteint:

« Pour le yogi assis dans la posture du lotus, fixant du regard l’extrémité du nez, l’esprit meurt, et la faculté de voyager dans l’espace se réalise. Le meilleur des yogis voit une lumière claire comme une montagne blanche. Par la puissance de sa concentration sur elle, spontanément, il en devient le gardien. Pour éliminer rapidement la fatigue, le sage yogi doit s’allonger sur le dos à même le sol et méditer sans interruption sur cette lumière. »

Ces différents extraits nous montrent que pour un pratiquant assidu et engagé, le Samādhi est Moksha. Assiduité et engagement sont nécessaires, en plus de la Grâce. Comme le dit Henri Le Saux, « Le soleil ne se lève que pour celui qui va à sa rencontre».

Après Dhyāna puis une hiérarchie de différents Samādhi , le Samādhi peut être ultime.

Dans la tradition du Saṃkhyā et du Kapilmath, les maîtres rappellent comme le Samādhi est difficile à atteindre. On indique qu’il doit être recherché dans la solitude, par soi même, sans attendre l’aide de quelqu’un d’autre. Omprakāś Āraṇya donne le conseil à ses disciples de s’asseoir tranquillement, de calmer le souffle, de relaxer puis éteindre les cinq sens. Il explique que Buddhi (la sagesse, l’intelligence qui permet l’ultime discernement) tournée vers la conscience du Témoin, devient de plus en plus semblable à Puruṣa. C’est alors que Buddhi s’écarte de devant Puruṣa. Et c’est la réalisation de la libération. 8

Finissons avec les mots de Gorakṣanātha, le Maître de tous les Pratiquants, avec son image belle et précise :

« Un cristal de quartz lorsqu’il est taillé, se révèle avec ses propres couleurs véritables. Il est libéré celui qui, grâce à la taille opérée par Śakti, réalise: «C’est cet Ātman que je suis!» (Gorakṣaśataka , 91)


Notes :

5- Upanishads du Yoga, auteur inconnu, trad. et commentaires Jean Varenne, éd. Gallimard, 1990.

6- Hatha-Yoga-Pradîpikâ, IV, 3-4, trad. Tara Michaël, éd. Fayard, 1974.

7- Roots of Yoga, Jim Mallinson & Mark Singleton, éd. Penguin Group, 2017. (traduction de l’auteure) Vijnanabhairava avec le commentaire de Sivopadhyaya

8- Yoga in Modern Hinduism, Knut a. Jacobsen, éd. Routledge, 2017. Enseignements de Omprakāś Āraṇya

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