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La souris, véhicule de Gaṇeśa

C’est bien connu, les éléphants sont sensés avoir peur des souris ! Mais Gaṇeśa, lui, s’en sert de véhicule. Comment un être si imposant peut-il monter une toute petite souris ?

Les purāṇa des gāṇapatya, adorateurs de Gaṇeśa, relatent l’histoire d’un musicien céleste, un gandharva nommé Krauñca, ce qui signifie grue, héron. Invité à donner un concert à la cour du roi des dieux Indra, il arriva en retard, et se précipitant, chuta sur le doigt de pieds du sage Vāmadeva, invité aux festivités. Vāmadeva exigea des excuses. Il n’en fut rien. Krauñca l’accusa de ne pas lui avoir laissé assez de place pour passer ! Très mauvaise idée. Le sage prononça cette malédiction : « Puisque tu te faufiles comme une souris, tu t’incarneras sur terre en souris ! ». La colère passée, Vāmadeva ne manqua pas de donner une issue à ce destin funeste : un jour les dieux eux-même s’inclineront devant cette souris.

Krauñca mena donc son existence de souris. On le sait, les souris peuvent faire des dégâts dans les maisons  et c’est ce qui se produisit dans le monastère du sage Parāśara. Tandis que Gaṇeśa était son hôte, la souris en profita pour ruiner le bâtiment.

Gaṇeśa prit alors la situation en main et utilisa son lasso afin de l’attraper. Elle finit par s’avouer vaincue et s’inclina à ses pieds se confondant en excuses. Gaṇeśa fut touché par ses paroles et lui proposa de devenir sa monture. La souris rétorqua : « Mais c’est impossible ! Comment pourrais-je supporter ton poids ? ». Rien est impossible pour « Celui qui écarte les obstacles ». Il s’allégea donc pour permettre à Krauñca de le porter.

Gaṇeśa et Krauñca, sous la forme de la souris, mūṣika, devinrent dés lors inséparables.

Et gare à ceux qui pourraient se moquer de cette improbable association. Ce fut le cas de la Lune, si belle, qui voyant un jour Gaṇeśa tomber de la souris, pouffa de rire. Ce dernier la maudit pour corriger son arrogance, ce qui la défigura. Les dévots de Gaṇeśa se gardent d’ailleurs, depuis ce jour de contempler la Lune lors de sa fête annuelle. 

Bien des interprétations sont possibles sur le symbolisme de la monture de Gaṇeśa. Des huit formes de Gaṇeśa, cinq sont mūṣikavāhana, avec comme véhicule la souris : Ekadanta (« à la défense unique »), Mahodara (« au ventre immense »), Gajānāna (« à la face d’éléphant »), Lambodara (« au ventre gourmand ») et Dhūmravarṇa (« le gris »).

Dans le Mudgalapurāṇa, à chacune de ses formes, sont associés un combat et une victoire de Gaṇeśa contre un démon, dont le nom montre une symbolique bien explicite : la victoire d’Ekadanta sur le démon de l’ivresse (Madārsura), celle de Mahodara sur le démon de l’illusion (Mohāsura), de Gajānāna sur le démon de l’avarice (Lobhāsura), Lambodara sur le démon de la colère (Krodhāsura), et Dhūmravarṇa sur l’égoïsme (Abhimānāsura). Cette adoration des huit formes de Gaṇeśa s’avère donc être un chemin spirituel de conquête de soi-même et des tendances néfastes qui nous nuisent, nuisent aux autres, et font obstacles à la contemplation de la vérité de notre nature profonde. Gaṇeśa est la divinité qui écarte les obstacles du chemin spirituel. Mais quel rapport avec la souris ? On lit qu’elle représenterait la sagesse. C’est bien vague. 

Gaṇeśa est dans le yoga tantrique, associé à mūlādhāracakra, le centre de la Terre. En témoigne cet hymne à Gaṇeśa : 

tvaṃ mūlādhārasthito’si nityam

“Tu es éternellement présent dans mūlādhāra.” (Gaṇapatyatharvaśīrṣa 6 : 11)

S’il est bien un premier obstacle subtil à l’éveil de la conscience : c’est celui de croire que nous sommes le corps, que nous sommes des individus séparés et limités du reste du monde et de la source par notre corps. Gaṇeśa est ce qui autorise à dépasser cette croyance limitante. Mais cela n’explique pas encore pourquoi la souris ! Les prises de conscience dans le yoga tantrique sont toujours permises par une alchimie du corps subtil : ce véhicule pourrait bien représenter l’énergie qui trouve son chemin de mūlādhāracakra dans le canal subtil (suṣumnānāḍī), telle une souris s’infiltrant dans un petit trou…

Terminons ce bref exposé par une courte prière à Gaṇeśa qui commence par mentionner sa monture, et qui finalement, au moins indirectement, réalise la prophétie du sage Vāmadeva : 

mūṣikavāhana modakahasta
cāmarakarṇa vilambitasūtra 

vāmanarūpa mahesvaraputra
vighnavināyaka pāda namaste 

« A Celui qui a la souris pour monture, la sucrerie à la main,

Aux larges oreilles en éventail, au cordon pendant, 

Qui prend une forme naine, fils du Grand Seigneur,

A Celui qui écarte l’obstacle, ma salutation à ses pieds. »

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