Aller au contenu

Dattātreya (partie 2)

Dans la première partie, il était question de l’aura particulière de Dattātreya parmi tous les grands sages de l’Inde. Nous avons vu sa naissance exceptionnelle, et qu’il était Śiva tout autant que Vișņu. Voici maintenant la suite.

L’enseignement de Dattātreya

Selon le Bhagavata Purāna, et appuyé par d’autres écrits, lorsqu’on interrogeait le Yogī sur son Guru, il répondit qu’il avait vingt-quatre gurus : la terre, dont il apprit la patience et le pardon, le dharma; l’air lui enseigna l’absence d’attachement. Du ciel (espace), il apprit que l’âme pénètre toutes choses mais demeure intouchée par toutes choses. L’eau fut un modèle de pureté et de générosité ; le feu lui montra comment briller et illuminer de sa chaleur (tapas). Le soleil lui révéla que, bien qu’unique, il se reflète dans chaque bol d’eau, de même l’âme suprême. La lune, lui rappela que l’âme est complète et indivisible, même si elle n’apparaît pas toujours dans toute sa gloire. Un python lui fut un modèle de contentement et d’absence d’inquiétude alimentaire. En voyant des pigeons être pris dans un filet et observant que la mère, puis le mâle, se faisaient prendre du fait de leur attachement à leurs petits, il comprit que l’attachement est la cause de l’emprisonnement dans le samsara. L’océan lui enseigna la tranquillité malgré les tentations et les influences externes. Une mouche attira son attention sur la douleur que cause la passion amoureuse, et l’importance de contrôle sur le sens de la vue. Une abeille lui enseigna à ne pas attendre l’aumône d’une maison, mais de recevoir un peu de plusieurs demeures. Un apiculteur l’aida à comprendre la futilité d’amasser des richesses pour finalement mourir. Un éléphant mit en évidence l’importance de contrôler le désir et les pulsions sexuelles. Un daim mélomane lui enseigna à restreindre ses sens et à n’apprécier que la musique dévotionnelle et sacrée. Un poisson lui enseigna le contrôle sur l’appétit et la langue, et, par-là, sur tous les sens. Une ancienne prostituée lui enseigna l’importance du temps et de l’orientation des activités ; ne pas prostituer son temps. Un enfant fut un modèle d’innocence, d’absence de soucis et de joie pure. Un faucon révéla les soucis et l’avidité qu’éveillent les possessions. Une jeune femme lui enseigna l’importance de la solitude et du retrait des conventions sociales. Un archer fut un exemple en ce qui concerne la concentration, l’unicité de but, dans la sādhanā. Une araignée lui indiqua comment le Seigneur manifeste le monde puis l’absorbe en lui, et que le Soi est hors de tout effet ou cause. Un serpent lui enseigna à se retirer dans la grotte du cœur et à ne pas craindre la mort. Et une guêpe lui enseigna que l’on prend la forme sur laquelle on médite, et l’importance de fixer son esprit sur le Seigneur.

On remarque que Datta prend la nature comme enseignant, et c’est aussi la démarche des inventeurs des asanas du hatha-yoga.

Une autre lecture pourtant amène un sens plus profond : la philosophie du samkhyā nous parle des vingt-quatre tattvas, principes fondamentaux ou catégories de l’existence. En évoquant ses vingt-quatre gurus Datta révèle avoir été enseigné par chacune de ces catégories. Il est le Seigneur de toutes les catégories, leur réceptacle. Il est la quintessence de tout l’univers, la seule réalité ultime, le Brahman impersonnel et l’incarnation plénière.

Il est d’abord un Seigneur du Yoga, appelé tantôt Yogirāja (roi des yogis), ou Viśvaguru (Guru universel). Il affiche aussi des particularités propres aux traditions tantriques, on lui attribue la pratique des cinq offrandes en M, et la tradition Nātha qui se réclame de sa lignée a développé tout un corpuscule de pratiques tantriques et magiques.

Dattātreya est l’auteur présumé de l’Avadhūta Gītā, datée du neuvième siècle de notre ère par les savant occidentaux (les indiens pensent que le texte a cinq mille ans), dans laquelle il expose l’état d’avadhūta et l’absolue non-dualité.

Le terme « avadhūta » est expliqué ainsi :

« A » tient pour la liberté des liens du désir, la pureté dans les trois dimensions (passé, présent et futur) et la béatitude infinie.

« Va » représente celui qui demeure dans le présent, sans pensées pour le passé ou le futur, il est donc libre de tout karma, de tout vasana.

« Dhū » indique la maîtrise complète du corps et du mental, et la liberté de tous les malas (impuretés).

« Ta » représente la constante contemplation sur ātma tattva, et la totale liberté de tamas et ahamkāra.

L’enseignement de Datta est au-delà de toute dualité. Il affirme :

परेण सहजात्मापि ह्यभिन्नः प्रतिभाति मे।  Il me semble que l’âme est naturellement indissociée de l’Absolu.

व्योमाकारं तथैवैकं ध्याता ध्यानं कथं भवेत्॥३९॥  Tout cela est vraiment un et de la forme de l’espace. Comment y aurait-il un méditant et une méditation? 

Il pousse son non-dualisme au-delà de l’idée d’illusion ou de connaissance :

मायाऽमाया कथं तात छायाऽछाया न विद्यते। Māyā’māyā katham tāt chāyā’chāyā na vidyate.

तत्त्वमेकमिदं सर्वं व्योमाकारं निरञ्जनं॥४३ Tattvamekamidam sarvam vyomākāram niranjam.

Comment parler d’illusion ou de non-illusion ? Il n’est ni ombre ni absence d’ombre.

Il n’est vraiment qu’un principe, forme du vide, et pur. 43

Le Datta Stotram le célèbre de maintes façons, dont ce verset huit :

भोगालयाय भोगाय योग योयाय धरिने।  Bhogālayāya bhogāya yoga yoyāya dharine.

जितेन्द्रिय जितज्ञाय दत्तात्रेय नमोऽस्तुते॥८॥ Jitendriya jitājnāya Dattātreya namo’stute. 8

« Salutation à Dattātreya qui est le lieu du plaisir, qui est le plaisir même, qui est le grand soutien du yoga, le vainqueur de ses sens, et le conquérant des savants. 8 »

Il rejette les conventions sociales : nous avons vu qu’il avait rejeté le cordon sacré, symbole de l’initiation des brahmanes et de leur pureté rituelle. En cela, il refuse les notions de pur et d’impur ainsi que le système des varnas, le système des castes.

Au verset 45 de l’Avadhūta Gītā, il discrédite le système des quatre āshramas, ou âges de la vie, ainsi que des quatre castes. En faisant cela, il met en périls les fondements de la société hindoue.

महदादि जगत्सर्वं न किंचित्प्रतिभाति मे। Mahat et les autres (éléments), tout l’univers, ne me semblent rien.

ब्रह्मैव केवलं सर्वं कथं वर्णाश्रमस्थितिः॥४५॥ Tout n’est vraiment que le Brahman. Comment pourraient exister les castes et les âges de la vie ? 

Il rappelle à qui l’écoute sa véritable nature, son essence impérissable :

सम्योगश्च वियोगश्च वर्तते न च ते न मे। Il n’ y a ni union ni séparation, ni pour toi ni pour moi.

न त्वं नाहं जगन्नेदं सर्वमात्मैव केवलं॥१५॥ Il n’est ni tu ni je, ni le monde de la diversité. Tout est vraiment le Soi seulement. 15

Un autre texte, daté du treizième siècle, le Dattātreyayogashastra, qui utilise le premier les termes de hatha-yoga et Kundalini, lui est attribué. Datta y enseigne la science du yoga au sage aspirant Samkŗti.

Dans la prochaine partie, nous apprendrons que Dattātreya enseigne la science ésotérique tantrique de Śrī Vidyā , qu’il apporte la science du yoga à Vașișțha, le guru de Rāma et Lakśmana, nous verrons ses ascèses et aussi pourquoi, incarnation de Vișņu, il est considéré comme la forme de la Trimurti.

error

Vous aimez cet article? Partagez-le!