Dans son Histoire Ecclésiastique rédigé entre 323 et 324, Eusèbe de Césarée mentionne un groupe d’ascètes chrétiens de Palestine et d’Égypte engagés dans d’intenses austérités, dont l’une d’entre elle nous rappelle celle de la posture sur la tête pratiquée par les yogis :
Il y a aussi une autre secte, appelée des Prodiques, qui prétend que le salut consiste en se tenir debout sur la tête, les pieds en l’air, et en répétant continuellement certaines prières.
Histoire Ecclésiastique 5, 18, Patrologiae cursus completus J.P Migne
Ces « prodiques » du grec πρόδιγος, qui signifie dans ce contexte « excessif », étaient probablement reliés aux communautés « encratiques », fondées par Tatien le Syrien, pratiquant le végétarisme, le célibat, le jeûne intense et des mortifications corporelles en vue de purifier l’âme de ses tendances mondaines. Leur théologie était a priori empruntée aux « gnostiques », pour qui l’âme, immortelle, était emprisonnée dans l’illusion de la matière. Ces pratiques ascétiques intenses avaient pour visée de l’en libérer, afin qu’elle puisse s’unir au Saint-Esprit et retrouver sa pureté originelle. Elles étaient considérées d’après les commentaires d’Hippolyte de Rome comme des « mystères », c’est à dire des pratiques secrètes révélées à des initiés. La pratiques des postures inversées était accompagnée ou bien suivie de prières. Eusèbe utilise l’analogie d’un métal purifié par le feu pour les décrire :
Ils retournent leurs pieds en haut, tenant ainsi un exercice comme de l’or ou de l’argent mis au feu, jusqu’à ce que, leur âme étant enflammée de cette vigueur, ils se reposent un instant dans la position du repos, récitant les litanies de prière, et immédiatement se relèvent pour continuer ce même exercice, jour et nuit, sans interruption.
Histoire Ecclésiastique 5, 18, Patrologiae cursus completus J.P Migne
Bien que l’encratisme fut condamné comme hérésie, il connut en réalité une certaine postérité chez les moines du désert.
La description de cette technique de posture inversée rappelle les enseignements du Hatha-yoga et les techniques de viparītakaraṇī. Selon la physiologie tantrique, le nectar d’immortalité s’écoule naturellement de la tête, centre lunaire, au ventre, centre solaire, où il est consumé. Cette inversion posturale conduit à une inversion physiologique, physique et subtile, permettant de stimuler le feu interne et de prolonger la longévité jusqu’à « vaincre la mort ». Elle était considérée aussi comme « ésotérique » et enseignée par un maître à ses disciples. La Haṭha Yoga Pradīpikā affirme : « Pour la personne dont le nombril est en haut et le palais en bas, le soleil se trouve situé au-dessus et la lune en dessous. Cette position appelée posture inversée (viparīta karaṇī), est comprise grâce aux directions d’un guru. » (Haṭha Yoga Pradīpikā 3, 79, trad. Tara Michaël).
Une telle découverte montre que la tradition ascétique et ses techniques ne connaît ni frontières religieuses, ni frontières culturelles.