Agni, la divinité du feu
Le Feu réside caché dans la terre, dans les plantes, et les eaux le charrient. Le Feu est dans la pierre. Il y a un Feu enfoui profond dans l’homme, un Feu dans les vaches, un Feu dans les chevaux.
Atharva-Veda
Selon les écritures, chaque force élémentaire est présidée par une divinité. La divinité du feu et de la chaleur, est Agni.
Littéralement Agni signifie le feu, la foudre.
Agni avait une place importante et même clé, dans les hymnes védiques, qui étaient pour beaucoup consacrés à le décrire et le célébrer. Agni était la divinité centrale du panthéon védique. Indra, son frère jumeau, était le chef parmi les guerriers, tandis qu’ Agni, était le chef des prêtres. Personnification du feu sacrificiel, il était le récepteur des oblations et des sacrifices et le médiateur entre les humains et les dieux. Il protégeait les hommes et leurs foyers, protégeait les cérémonies. Agni était la divinité qui symbolisait la flamme de la conscience, sa Force. Il représentait l’illumination divine. Son symbole était la fumée (Dhūma-ketu) et il se déplaçait sur un bélier (Chāga). Agni était l’un des huit Vasus, les «lumineux» et il était la direction du sud-est. (Pour approfondir, lire l’article « Agni, divinité du feu »)
Agnicayana, le grand rituel
Il y a plus de trois mille ans, des nomades quittèrent les steppes sèches où ils vivaient et traversèrent les montagnes qui séparent l’Asie centrale de l’Iran et du sous-continent indien. Ils arrivèrent alors dans les plaines fertiles de l’Indus supérieur. L’indus coule depuis l’Himalaya en direction du sud-ouest et se jette dans la mer d’Oman.
Leur langue indo-européenne, en rencontrant les restes d’une civilisation antérieure, devint védique, puis sanskrite. Ils adoraient le feu, appelé Agni, et célébraient le culte du soma, une plante sacrée, qu’on pense hallucinogène et qui poussait dans les hautes montagnes. De l’interaction entre les premiers habitants d’Asie centrale et les premiers habitants du sous continent indien se forma la civilisation védique, avec les quatre Védas. Les quatre Védas, liturgie ainsi que système mythologique et spéculatif, étaient transmis oralement par des prêtres. Leurs plus grands rituels étaient consacrés à Agni et Soma.
Agni en tant que messager divin et intermédiaire, transmettait aux dieux les offrandes, faites de beurre clarifié (ghee), versées dans les feux installés sur les autels. On faisait aussi des offrandes avec le jus extrait des tiges de la plante de Soma. Ce qui restait des offrandes était ensuite consommé. On accompagnait les cérémonies de récitations des hymnes sacrés. Né 1000 ans avant J.-C, ce grand rituel était appelé Agni ou Agnicayana. C’était une cérémonie très élaborée. On appelait aussi Agni l’autel qui était construit en forme d’oiseau au cours de la cérémonie.
Les tapasyā des ascètes
Nous qui par le tapas allumons le feu de l’esprit,
Atharva-Veda
Puissions être chers au Veda.
Le mot tapasyā (austérité) vient de la racine tap (devenir brûlant) et de tapas (chaleur). Tapasyā est le feu intérieur obtenu et stimulé par certaines pratiques. Daniela Bevilacqua , indianiste, énumère les tapasyā effectuées pendant une certaine période de l’année: A la saison chaude, le tap dhūnī, pendant lequel l’ascète est assis sous le soleil de mi-journée entouré de plusieurs feux faits de bouse de vache. Pendant l’hiver, c’est le tap jal pendant lequel l’ascète reste dans l’eau plusieurs heures par jour. Il y a aussi des austérités qui durent des années, comme rester debout en permanence, ou garder le bras levé, rester silencieux etc. Daniela Bevilacqua explique aussi que prendre le vœu de ne plus manger que des fruits, ou de ne plus s’alimenter que de jus est aussi tapasyā. Ce sont des comportements considérés comme des exemples de Haṭhayoga en Inde.
Le mot ascèse vient du grec askèsis dont le sens est «pratique» ou «entraînement». Il existe des pratiques ascétiques diverses selon les époques, les lieux où l’on vit, les religions. Le jeûne prolongé, les veilles, l’exposition aux rigueurs des éléments, les disciplines et austérités, le contact avec ce qui répugne, la solitude, le silence, l’isolement dans un lieu clôt, ou une grotte, une forêt, un ermitage, le dénuement matériel, l’abstinence sexuelle, tout cela relève de l’ascèse.
L’ascète pourrait sembler masochiste, voire désespéré, pris dans un processus d’autodestruction. Mais ce n’est pas le sens profond de sa démarche. Nos besoins, nos intérêts nous dirigent, nous poussent dans le sens de la vie. Nous cherchons à prolonger notre existence, à éviter la souffrance et nous choisissons plutôt le plaisir et l’aisance. Tout celà pour l’ascète est esclavage. L’ascète cherche à diminuer ses besoins et les réactions spontanées de son corps. Il cherche à ce que les réactions à l’agréable et au désagréable ne le guident plus. Il va même à la rencontre du désagréable, s’habituant à ne plus réagir. Petit à petit, le monde extérieur ne lui dicte plus ni réactions ni émotions.
Rencontrer Dieu, obtenir des pouvoirs (les siddhis), donner un exemple d’engagement religieux sont les différentes raisons de rentrer en ascèse.
Selon la majorité des ascètes hindous, le Haṭhayoga n’est pas un système de yoga, mais plutôt une attitude mentale , une ferme intention d’accomplir ou d’atteindre un but.
Il pensent aussi que tapasyā peut être bénéfique à la société. Les tapasyā des ascètes permettent au monde de continuer.
Les postures corporelles liées à la tradition de tapas
Dans la tradition védique, les prêtres utilisaient des pratiques ascétiques pour se préparer aux rituels du sacrifice. Ces austérités, tapas, servaient à obtenir d’immenses pouvoirs et on pensait ainsi forcer les dieux à accorder des faveurs.
Ô Agni, Atharvan t’a fait jaillir du lotus par friction.
Rg-Veda
Les vràtya exécutaient tapas. Vràtya signifiait obéissant, fidèle, puis cela s’est mis a vouloir dire «celui qui suit une observance religieuse ».
Des vràtya encore de nos jours choisissent comme tapas par exemple de rester debout pendant un an. Knut A Jacobsen, historien des religions, montre, dans son introduction du livre Theory and Practice of Yoga, que ce se sont ces austérités qui sont à la source des pratiques d’ascèse du yoga et que les asana du Yoga viennent de cette grande insistance sur les postures corporelles .
Très tôt, yoga et ascèse ont été liés. Dès l’époque du RigVeda une classe d’ascètes appelés muni., aux très longs cheveux, vivant dans la pauvreté et se mortifiant le corps, associaient leurs pratiques ascétiques avec une pratique du yoga. On disait d’eux qu’ils avaient des pouvoirs mystiques et qu’ils les avaient obtenus de leurs tapas.
Avec les Upanishads, le culte rituel du sacrifice a fait place à tapas. On trouve des références aux pratiques yoguiques dans les premières Upanishads, et aussi dans celles plus tardives associées au Yoga. Les pratiques de tapas et de yoga étaient liées et formaient une partie intégrante des enseignements transmis de maîtres à disciple.
À l’époque des grandes épopées du Ràmàyana et du Mahàbhàrata, les ascètes hommes et femmes entreprenaient des austérités extrêmes pour acquérir à la fois pouvoirs yogiques et libération. La pratique du Yoga permettait une variété de siddhis (pouvoirs surnaturels) .
Dans le Vàlmìki Ràmàyana, la déesse Pàrvatì jeûna pendant des milliers d’années. Elle utilisa et développa ses capacités yogiques et gagna ainsi l’amour de Sivā.
Les Purana qui traitaient principalement de cosmogonies, de légendes des divinités, racontaient aussi des histoires de yogis et de yoginīs aux pouvoirs surnaturels obtenus par leurs pratiques des austérités yoguiques .
Les siddhis étaient considérés comme les signes de l’atteinte de niveaux successifs d’absorption dans le samādhi.
Au cours du premier millénaire de notre ère, les traditions tantriques hindoues et bouddhistes proposaient de nombreuses pratiques yogiques, mêlées de rituels, pour atteindre siddhis et libération.
Au cours de la même période, les Upanisads vishnouites mêlaient ascétisme, yoga, tantra et bakti (la dévotion).
Les austérités et le yoga dans le Ràmànanda Sampradày
Au premier millénaire de notre ère une variété de groupes ascétiques s’est formée. Yoga et ascétisme étaient pratiqués à la fois pour le pouvoir et pour la libération. Il s’agit des Pàsupatas, des Kàpàlikas, et des Kànphata Yogis .
Le Gorakhnàth Sampradày est un des premiers ordres ascétiques qui a combiné yoga, ascèse, tantra pour atteindre puissance et illumination. Matsyendranàth et son disciple Gorakhnàthattinrent de nombreux siddhis, grâce à leur pratique et leur ascèse.
Des éléments des divers ordres ont été adoptés et reconfigurés au fil du temps, et cela a formé de nouveaux groupes ascétiques. Un de ces groupes est le Ràmànanda Sampradày. La tradition nous apprend que Rāmānanda fut d’abord un ascète de la Śrī Sampradāy, un ordre fondé au XIe ou XIIe siècle par Rāmānja de l’Inde du Sud. Plus tard, en désaccord avec quelques règles post-Rāmānja considérées discriminatoires à l’égard des castes, des chefs de famille et des femmes, Rāmānanda quitta l’ordre pour crée sa propre Sampradāy.
Ramdas Lamb, saddhu jusqu’en 1978 puis professeur des religions, raconte que les Ràmànandìs accordent une grande importance aux deux premiers membres du Yoga : yama ( les restrictions) et niyama (les observances): la non violence, la vérité, le fait de ne pas voler, l’abstinence sexuelle, le fait de ne pas convoiter, la propreté, le contentement, l’étude, et l’abandon à Dieu. Tout nouvel initié doit d’abord suivre ces règles avant de devenir un Ràmànandì. Quand vient l’initiation, comme dans d’autres ordres ascètiques, le guru donne un mantra, et le disciple fait alors du japa (récitation du mantra) afin de développer dhàranà (concentration). On considère que asanas et prànàyàma aident à la concentration.
Puis certains choisissent d’aller vers un mode de vie plus austère, ils reçoivent alors l’initiation du Tyàgi, littéralement le renonçant. Ce vœu initiatique est la dìkshà « l’initiation aux cendres ». Le renonçant recouvre tous les jours son corps de cendres provenant du feu sacré. Ensuite comme tout Tyàgi, le renonçant passe sa vie à errer, sans attache, vêtu d’un seul pan de tissu.
Les Tyàgi ont des pratiques d’austérités très précises, les tri tap (les trois austérités), qui suivent chaque période de l’année, l’année étant divisée en trois périodes de quatre mois. Ils suivent une tapasya quotidienne spécifique selon chaque période. La première est dhùnì (le feu sacré) tap et elle est réalisée pendant les mois les plus chauds. Le corps recouvert de cendres, en prière ou en méditation, l’ascète est assis au milieu de nombreux petits feux faits de bouse de vache séchée, aux heures les plus chaudes de la journée. Le deuxième est connu sous le nom de maidàn (« champ ») tap. Alors que le temps est à la mousson, l’ascète renonce à toute forme d’abri et doit vivre entièrement exposé aux éléments de la nature . Le troisième tapas , le plus dangereux des trois, est exécuté pendant la période la plus froide de l’année. Le renonçant s’immerge dans l’eau jusqu’à la taille ou jusqu’au cou, et y reste durant une heure, entre minuit et le lever du soleil.
A la fin du XIXe siècle, un sous-ordre supplémentaire est apparu, dans lequel les vœux augmentent encore le degré de renoncement physique. Connus sous le nom de « Mahàtyàgi », les membres de ce groupe prennent les vœux les plus restrictifs physiquement de tout ordre renonçant hindou. En plus des vœux de Tyàgi, le Mahàtyàgi s’engage également à observer la pratique de maidàn tap en tout temps (vivre sans abri), de ne jamais couper ou peigner leurs cheveux, de ne pas porter de tissu, de limiter la couverture corporelle à un habit en écorce d’arbre ou d’herbe. En plus du régime végétarien strict commun à tous les Vairàgi, le régime Mahàtyàgi supprime tous les grains, les légumes-racines et les haricots, les produits laitiers et le thé.
Ramdas Lamb explique qu’en raison des sàdhanàs qui imposent aux Tyàgi et aux Mahàtyàgi de plus grandes exigences physiques et mentales que celles de la plupart des autres Vairàgi, ces sous-ordres mettent l’accent sur le conditionnement physique, l’affinement de la concentration mentale et le développement d’une grande volonté. Sans cela, il y a aurait moins de chances de réussite pour les Tyàgi et les Mahàtyàgi. Malgré l’augmentation du conditionnement mental et physique, ils ne sont pas nombreux à rester longtemps dans ces sous-ordres, choisissant plutôt de se rapprocher du monde et reprendre des pratiques de Vairàgi.
Ceux qui continuent trouvent que pour l’exécution des diverses formes de tapas une connaissance profonde et pratique du yoga est une grande aide. Leur sàdhanà inclut donc plusieurs éléments de Yoga, avec même certaines pratiques tantriques.
Ils considèrent les huit membres du Yoga comme des outils puissants pour développer la volonté et l’énergie spirituelle. On accorde une grande importance à la propreté, l’abstinence et la non cupidité. Pour un Tyàgi, tout laxisme envers propreté, abstinence, et non cupidité est censé diminuer son pouvoir de volonté et son énergie spirituelle précieuse et peut lui créer des obstacles considérables dans sa sàdhanà.
La pratique d’àsana et de prànàyàma est considérée comme une aide fondamentale. Pour les Tyàgi, chaque posture de yoga a son propre siddhi (pouvoir yogique), et sa réalisation dépend de la capacité à maintenir l’immobilité, avec un esprit stable. En ce qui concerne les postures de méditation, comme padmàsana ou siddhàsana, on dit que c’est la capacité de s’asseoir complètement immobile et concentré pendant trois heures et demie dans l’une ou l’autre position qui donnera le pouvoir de cette posture.
Les différents pouvoirs grâce à la perfection d’un àsana comprennent des capacités telles que pouvoir dormir à tout moment ou pas du tout, prévenir la maladie, maintenir la force physique, etc.
Le prànàyàma est entrepris, sur le plan physique, pour renforcer les poumons, purifier le sang, détendre le corps, focaliser l’esprit, chauffer ou refroidir le corps, contrôler le rythme cardiaque, jeûner pendant de longues périodes, assimiler le poison sans conséquences néfastes. Cependant, le but le plus important du prànàyàma est d’éveiller les énergies subtiles, comme la kundalinì shakti à la base de la colonne vertébrale.
D’autres pratiques généralement associées au tantra sont également utilisées, en particulier les bandha et les visualisations, pour aider à éveiller, concentrer, et canaliser la sakti subtile. La concentration et la puissance acquise aident à éveiller Kuṇḍalinī. Alors vient à la fois le pouvoir et pour certains la libération.
Pratyàhàra (le retournement des sens externes) permet le passage des stimulis externes et matériels aux stimulis internes et subtils, ainsi on apprend à voir, entendre, sentir le Divin intérieur. Pratyàhàra est réalisé par des pratiques de détachement. Les pratiques utilisées pour développer la concentration, dhàranà ralentissent le mental et le mette sous contrôle. Dhàranà peut inclure la répétition d’un mantra, comme Shrì Ràma saranam mama (Seigneur Ràm, tu es mon refuge). Le mantra développe la concentration, et favorise la relation avec le Divin intérieur.
Pour les Ràmànandì, les deux derniers membres de yoga c.-à-d. dhyàna et samàdhi, ne sont pas des pratiques; Ce sont des états d’être qui ne peuvent être enseignés. Ce ne sont pas des états qu’on atteint, mais qui se révèlent. Dhyàna se produit comme la reconnaissance et le souvenir de notre vraie nature. Puis se réalise le samàdhi, une identité complète avec Dieu, Ràma. C’est à la fois le but du yoga, des tapas et de la bhakti.
Cependant, un changement progressif a lieu dans la direction de l’étude philosophique, raconte Ramdas Lamb, et on assiste à une diminution de l’intérêt envers tapas. L’étude des écritures sanskrites devient centrale dans la sàdhanà, ce qui donne une transformation progressive de l’ordre dans son ensemble. Les sous-groupes Tyàgi et Mahàtyàgi ont considérablement diminué en nombre. La pratique et le rôle de tapas diminuent progressivement, et aussi l’intérêt pour le Yoga. La forme de yoga encore centrale est celle de la bhakti. La dévotion au divin dans l’aspect du Seigneur Ràma reste au centre de la vie des Ràmànandì, et c’est ce que la plupart des Ràmànandì considère comme la plus haute forme de pratique.
L’adaptation des méthodes ascétiques pour un public plus large, non-ascétique
Dans les traditions Sramana (mouvements de moines errants à différentes époques), les ascètes étaient et sont encore engagés dans tapas.
Le but des austérités est de gagner une protection ou un pouvoir spécial des dieux, tandis que le but ultime est le calme de l’esprit ou l’annihilation du karma passé.
On a vu que dans le Mahābhārata, les pratiquants de tapas sont des yogins et des yoginīs, et que leurs pratiques sont appelées yoga. Les textes de cette période montrent que les ascètes de toutes les traditions sont engagés dans des austérités. Le Bouddha lui-même dit qu’il a essayé diverses techniques mortifiantes. En plus de la libération, les textes témoignent de l’acquisition de pouvoirs surnaturels, résultant de ces pratiques.
Le prāṇāyāma a longtemps été identifiée comme tapas. Les sceaux (mudrā) et les postures (āsana) de haṭhayoga, qui sont d’abord enseignés dans les textes du début du deuxième millénaire après J.-C., semblent dériver de certaines des méthodes Śramaṇ. Beaucoup d’enseignements des textes sur le yoga peuvent être compris comme des tentatives d’instruire les non-ascétiques dans les techniques qui ont émergé dans les milieux ascétiques.
Le Seigneur a dit : ‘Les gens sont considérés comme de deux sortes : crus et cuits.
(Yogabīja 15- 34, 35, 60)
Les crus n’ont pas de yoga. Les gens sont cuits par le yoga. La personne qui a été cuite dans le feu du yoga est alerte et libre de chagrin. Sachez que la [personne] crue (brute) est terne et liée à la terre, source de souffrance.
Ces pratiques sont des techniques de nettoyage, des postures (āsanas), des méthodes de contrôle de la respiration et des moyens physiques de manipulation de l’énergie subtile (mudrās). Bien que ces pratiques soient enseignées pour la première fois dans les textes de haṭhayoga, beaucoup d’entre elles, en particulier les āsanas et mudrās, sont très proches des pratiques ascétiques mentionnées pour la première fois dans la deuxième moitié du premier millénaire avant notre ère, peu après l’époque du Bouddha.
Le terme haṭha (force) est lui-même une référence aux austérités difficiles. Le Tirumandiram tamoul enseigne le yoga et est contemporains à peu de choses près du Dattātreyayogaśāstra. Dans le Tirumandiram, haṭhayoga est appelé tavayoga, tava étant la forme tamoule des tapas sanskrits (austérité ).
Bien que l’on voit la proximité des pratiques ascétiques et du hathayoga, remarquons que les méthodes de haṭhayoga ne sont pas aussi extrêmes que la plupart des mortifications entreprises par les ascètes indiens . Les techniques enseignées sont adaptées aux yogis plus mondains (yogis vivants dans le monde, avec la responsabilité d’une famille par exemple) . Knut A. Jacobsen souligne que cette adaptation des méthodes ascétiques pour un public plus large, non-ascétique est susceptible d’être d’ailleurs la raison de la composition des textes du haṭhayoga.
On a besoin au début de jeûner, inclinant même à l’excès, et à ce moment-là on effectue ses pratiques dans des endroits isolés vus par personne. Au début de l’effort (mujahada), ses pouvoirs sont épuisés et le corps est affaibli, mais ne vous inquiétez pas à ce sujet, parce que la première période d’effort est comme l’été et l’hiver, et la fin de celui-ci est comme le printemps et l’automne. On se fixe donc des temps obligatoires tous les jours et toutes les nuits.
(Ḥawż al-ḥayāt)
Ce que nous enseigne l’ascète Purā ṇ Puri
Dans un récit historique unique, l’ascète Purā ṇ Puri raconte au collectionneur de Benarès, Jonathan Duncan, comment, vers 1760 , il est allé, jeune homme mais déjà ascète initié, à une melā, un grand rassemblement de saddhus à Allahabad et a appris de ses aînés dix-huit Brahmāmudrās, divers types de mortifications ascétiques et parmi elles la pratique des quatre-vingt-quatre āsanas.
Ce récit de la vie ascétique de Purā ṇ Puri nous révèle le but mystique de ces pratiques ascétiques. Voici les 18 mudra de Brahmā que Purā ṇ Puri dicta à Jonathan Duncan au XVIIIe s. (traduction de l’auteure) :
«Je suis ensuite allé à Prayā g [Allahabad] à l’occasion d’une melā ou d’une assemblée tenue à cet endroit; un grand concours de fakirs assemblés à cette occasion; parmi lesquels j’ai entendu diverses discussions, que tels et tels tapasyā ou discipline de dévotion avaient ces avantages particuliers; et furent décritent les dix-huit pratiques, de la manière suivante:
1. Ṭhāḍeśvarī (‘Seigneur de la Résistance’) : debout continuellement et jamais assis
2. Ākāś Muni (‘ Sage du Ciel’) : fixer ses regards vers le ciel et ne jamais regarder vers la terre.
3. Med’ha-Muni ( ‘Sage sacrificiel’) : garder les deux mains fixées sur la poitrine.
4. Phersa-bahan : les deux mains tendues horizontalement.
5. Dhūmrapāna (« Fumer ») : attacher les pieds avec une corde à la branche d’un arbre ou à un autre endroit élevé et balancer la tête vers le bas, au dessus d’un feu, dont la fumée est absorbée par la bouche.
6. Pātāl Muni (‘Sage du monde souterrain’) : regarder toujours vers la terre, à l’inverse de Ākāś Muni.
7. Muni (« Le Sage ») : observer le silence constant.
8. Caurāsi Āsan (« Quatre-vingt-quatre postures ») : différentes postures en position assise, comme s’installer plusieurs heures avec les pieds sur le cou ou sous les bras, après quoi les membres sont replacésà leurs positions naturelles.
9. Kapālī (‘Le Crâne’) : placer une noix de bétel sur le sol et se tenir avec la tête sur la noix et les pieds dans les airs.
10. Pātālī (“Des Enfers”) : s’enterrer sous terre jusqu’à la poitrine avec la tête vers le bas, du milieu du corps jusqu’aux talons dans l’air, tout en étant engagé dans la cérémonie appelée jap ou répétition silencieuse des noms de Dieu.
11. Ūrdhvabāhu (‘les bras dans l’air’) : les deux bras levés de force au-dessus de la tête et étendus pour toujours dans cette position.
12. Baiṭheśvarī (“Seigneur de la Séance”) : conserver constamment une posture assise, sans jamais se lever ou se coucher.
13. Nyāsa-dhyān (“Le Méditant”) : contenir le souffle : cela est nécessaire pour ceux qui deviennent habiles dans la science. Ces personnes quand elles pratiquent la méditation comme un exercice de dévotion, confinent leur souffle tel qu’il semble n’y avoir aucune respiration dans leur corps, ainsi ils sont élevés à des visions béatifiques de la divinité.
14. Caurangī Āsan (Posture de Caurangi (l’un des neuf Nath) : s’asseoir pendant de nombreuses heures sur les genoux, en portant le pied droit par-dessus l’épaule gauche, et le gauche par-dessus la droite, les bras de la même manière par-dessus le dos, afin de tenir les orteils des pieds des deux côtés dans les mains.
15. Paramahamsa (« L’ascète ultime») : se mettre nu et n’avoir ni conversation, ni relation avec quiconque. Si une personne vous apporte de la nourriture, vous devez recevoir et manger, ou bien rester plongé dans la contemplation sur la divinité, et ne pas se tenir dans la crainte de quiconque.
16. Pañca Agni (“Cinq Feux”) : être plongé dans la fumée du feu des quatre côtés, avec cinquièmement, le soleil au-dessus; ainsi vivre nu et rester fixé dans la méditation sur la divinité.
17. Tribhaơgī (“avec trois coudes”) : debout toujours sur un pied.
18. Sūrya Bhāratī (“Saint Soleil”) : celui qui ne mange qu’après avoir vu le soleil.
De ces dix-huit types de discipline de dévotion, j’ai choisi celle de Ūrdhvabāhu, dans laquelle il est nécessaire d’être très sobre dans l’alimentation et le sommeil pendant un an, et de garder l’esprit fixé, c’est-à-dire d’être patient et déterminé à suivre la volonté divine. Pendant un an, une grande douleur est endurée, mais moins pendant la seconde, et l’habitude rend cela plus aisé; la douleur diminue dans la troisième année, après quoi aucune sorte de malaise n’est plus ressenti. Ce sont les dix-huit mudrās ou voies de Brahmā , que ses fils ont exécutés, ainsi que diverses autres disciplines. Quant aux fruits ou aux conséquences, Dieu seul en est parfaitement informé; que puis-je savoir, moi, mortel ignorant, pour décrire les bienfaits que chaque tapasyā a déjà produits ou les récompenses qui seront obtenues par ceux qui pourront les entreprendre? »
Purā ṇ Puri parmi toutes les disciplines a choisi l’austérité ūrdhvabāhu et a tenu ses deux bras dans les airs pendant les quarante-cinq années restantes de sa vie. Il a voyagé continuellement dans de nombreux pays. C’est une vraie chance que Jonathan Duncan, en plus de recueillir son récit, l’ait aussi dessiné.
Conclusion
Comme l’expliquait G.J.Larson, la manifestation des pouvoirs yoguiques représente un ensemble de référence pour comprendre la position relative de chacun dans son accomplissement spirituel.
Nous avons vu comme le yogin, la yoginī, l’ascète sont « cuits » par tapas.
Le travail de Ramdas Lamb, que j’ai rapporté ici, nous permet de comprendre et imaginer les pratiques ascétiques des Tyàgi en détail. Celui de Knut. A Jacobsen nous aide à voir les liens entre tapas et yoga, au fil du temps et des textes.
Purā ṇ Puri en ayant décrit les disciplines dévotionnelles qu’on lui avait enseigné nous offre de deviner leur intensité. Son témoignage montre aussi le non attachement, et on peut entrevoir une vie offerte à Dieu. Ces disciplines sont encore choisies aujourd’hui par des ascètes. On dit que leurs tapasyā permettent au monde de continuer.
Sources :
- Knut A. Jacobsen (2005). Introduction: Yoga traditions. In Knut A. Jacobsen (éd.) (2005) Theory and practice of Yoga. Éd. Brill, p.1-27.
- Ramdas Lamb (2005). Rāja Yoga, Ascetism and the Rāmānanda Sampradāy. In Knut A. Jacobsen (éd.) (2005) Theory and practice of Yoga. Éd. Brill, p. 317-331.
- Daniela Bevilacqua. Lets the Saddhus Talk. https://www.academia.edu/25569049/Let_the_S%C4%81dhus_Talk_Ascetic_practitioners_of_yoga_in_northern_India
Traduction française : https://www.yogalite.fr/wp-content/uploads/2019/12/Donner-la-parole-aux-Sadhus-Daniela-Bevilacqua.pdf - Michel Hulin (2014). La mystique sauvage. Éd. PUF
- Knut A. Jacobsen (éd.) (2011). Yoga Powers, Extraordinary Capacities Attained Through Meditation and Concentration. Éd. Brill.