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Le cycle lunaire – Dvitīyā, deuxième tithi : Les Aśvins Kumaras

Dans la continuité de la série d’articles traitant du cycle lunaire et des divinités qui y sont rattachées, il convient maintenant d’évoquer les Aśvins Kumaras, connus comme les médecins divins, les jumeaux à têtes d’équidés.
Afin d’avoir une image claire, il est juste de voir en premier lieu qui sont les Aśvins dans le Rig-Veda, et dans d’autre ouvrages de la littérature sacrée indienne. Nous nous pencherons ensuite sur les informations que contient le Varāha Purāņa à leur sujet. Nous verrons enfin qu’en liant les différentes sources mentionnées, un sens nouveau se révèle à notre entendement.

Les Aśvins Kumaras dans le Rig-Veda

Divinités védiques

Les Aśvins Kumaras apparaissent dès le Rig-Veda. Ils y sont mentionnés 398 fois et 58 hymnes leurs sont consacrées. Ils comptent parmi les 33 dieux du panthéon védique et sont aimés de leurs pairs comme des humains.

« Tous les dieux se sont lamentés quand les deux Nāsatyas, les accompagnants, sont partis. Les dieux ont dit : revenez ici. » (RV.10.24.5)

Ici, ils sont tous deux appelés Nāsatyas mais leurs noms respectifs sont Dasrā et Nāsatya, traductibles par « Celui qui apporte une grande aide » et « Aimable ». Ils sont également appelés, en commun, Rudras et Angiras (RV.1.3.1.), bien qu’ils se distinguent d’eux.


Ils sont invoqués pour boire le soma : « Ô Nāsatya, venez ici avec les trois fois onze dieux, venez Ô Aśvins boire le miel (soma) » (RV.1.34.11.), et pour apporter toutes sortes d’aides aux humains: «Venez Ô Aśvins, avec ces aides par lesquelles on obtient le bonheur » (RV.1.112.2)
Ils apprécient les mantras : « (…) vous appréciez les mantras. » (RV.1.46.5) et les hymnes qui les font grandir « Le Ṛṣi Vatsa vous a fait grandir avec les hymnes, Ô Nāsatya. » (RV.8.8.15)

Divinités chevalines

Le nom commun de ces jumeaux vient de ‘aśva’ qui en sanskrit signifie cheval. Aśvin aura le sens de propriétaires de chevaux, ou de cavaliers, ou encore fils d’Aśvi. Ils sont le plus souvent représentés par des corps humains avec des têtes de chevaux. Il y a évidemment une histoire à l’origine de ce nom, et elle le justifie parfaitement. Néanmoins, elle n’est pas dite dans le Veda. Nous y reviendrons donc plus tard. Seuls quelques versets du Rig-Veda la confirment, tandis que d’autres apportent un doute raisonnable qui nous incitera à une réflexion quant à leur nature.

Par exemple, le verset 4, hymne 73 du septième maṇḍala les évoque : « Ces deux animaux de trait aux sabots solides ». Ici, nous affirmerons sans équivoque leur nature chevaline. Mais ils sont aussi appelés « cochers » (RV.7.69.5), et « taureaux » (RV.8.26.1) et « hommes » (RV.8.22.17.). L’apparence chevaline de ces divinités est remise en question. Cette multiplicité d’appellations divergentes ne laisse pas de poser une question : quel est le sens de l’assimilation de ces médecins divins au cheval ? 

Il est aussi souvent fait mention de cheval au sujet des chars divins. Leurs chevaux sont aussi comparés à des oiseaux (RV.1.118.5.) ou à des aigles. 

Enfin les mentions à Dadhyan (ou Dadhīci), renvoient à un épisode lors duquel Dadhyan se sacrifie et permet à Indra de prendre sa tête afin de créer une arme capable de tuer le démon Vṛtra. Les Nāsatyas lui rendent la vie en lui greffant une tête de cheval. 

Si l’on tient compte du fait que le cheval est primordial dans le sacrifice appelé Aśvamedha, dans lequel il est sacrifié, on peut en déduire que les dieux jumeaux ont dans le sacrifice un rôle essentiel.

Divinités solaires

Les Aśvins Kumaras sont largement célébrés dans le Rig-Veda. Ils y apparaissent comme fils de Sūrya, divinité du soleil, voyageant à travers le ciel dans un char céleste. Celui-ci est pourvu de trois places car les jumeaux sont accompagnés de la fille du soleil, leur sœur Uṣā ou l’aurore. Ils sont appelés « destructeurs d’obscurité » (RV.1.22.2)

Ils sont associés aux deux crépuscules, et probablement au zénith du soleil.  L’hymne 34 du premier maṇḍala du Rig-Veda commence par cette prière :
« Connaisseurs du jour, Ô Aśvins, soyez trois fois avec nous. Votre course et votre grâce imprègne tout. » (RV1.34.1)

Et encore, le cinquième verset de l’hymne 118 du même maṇḍala :
« La jeune fille du Soleil, satisfaite en vous, se tenant là dans votre char, Ô héros, que vos chevaux bais apportent ici les Merveilles, comme des oiseaux volants. »

Et au verset 11 :
« (…) je vous appelle au lever du jour pour l’Aurore qui succède à la nuit éternelle. »

Le verset 5 de l’hymne 69 du septième maṇḍala nous dit :
« Ô Cochers, ceci est votre char, qui, attelé, apporte les lumières du jour et circule autour des maisons. Par lui, il nous donne le bonheur et la joie de l’Aurore devenue claire. »

Plusieurs versets de l’hymne 35 du huitième maṇḍala répètent :
« En harmonie avec l’Aurore et le soleil, venez au pressurage, Ô Aśvins. »

Et le verset 1 de l’hymne 39 du dixième maṇḍala :
« Votre char qui roule bien autour de la terre est invoqué à l’aube et au crépuscule, Ô Aśvins, par celui qui fait une offrande. »

Divins médecins

Les Aśvinaus sont fréquemment invoqué dans le Rig-Veda afin de protéger et de soigner. Dans le premier maṇḍala, le verset 6 de l’hymne 34 les prie ainsi :
« Ô Aśvins, donnez-nous les trois remèdes célestes, les trois remèdes terrestres, les trois remèdes des eaux, la protection, la paix et la sécurité à mon fils, apportez votre protection et les trois substances élémentaires, Ô Maîtres des splendeurs. » 

Il apparait ici qu’ils possèdent toutes les médecines, tous les remèdes, dans toutes les sphères d’existence. 

Les dieux jumeaux ont soigné et sauvé, au moyen de leur science, nombre de Ṛṣi, ou sages, des temps anciens. De nombreux hymnes en rappellent les noms par listes :
« Comme vous avez aidé Kanva, Priyamedha, Upastuta, Atri, Śiñjāra , Ô Aśvins. 
Comme vous avez aidé l’efficace Aṃśu, pour gagner le trésor, Agastya pour des Vaches et Sobhari pour des forces. » (RV.8.5.25/26)

Et :
« Avec celles-ci, vous avez aidé Kanva, Medhādithi, Daśavraja, Gośarya. Avec celles-ci, vous nous avez protégés. Guidez les hommes !
Avec celles-ci, vous avez aidé Trasdasyu pour la puissante Richesse. Avec celles-ci, protégez-nous, Ô Aśvins, pour que nous puissions obtenir la Force. » (RV.8.8.20/21)

Le cas le plus remarquable est peut-être celui de Dadhyan (appelé Dadhīci dans les Purāṇas), que nous avons déjà évoqué et à qui les deux frères rendirent la vie en remplaçant sa tête coupée, par une tête de cheval. Le fait n’est pas explicitement décrit dans le Veda, mais il y est fait référence dans le premier maṇḍala, par le vers suivant :
« Je révèle vos puissants et anciens pouvoirs merveilleux, Ô Héros, comme le tonnerre annonce la pluie. Quand par la tête du Cheval, Dadhyan, le fils d’Atharvan, vous a fait connaître la douceur du soma. » (RV.1.116.12)

Cet évènement révèle d’une part la grandeur des pouvoirs médicaux des Aśvins Kumaras, puisqu’ils rendent la vie au sage décapité, mais indique aussi une avancée pour eux puisque c’est Dadhīci qui leur enseigne Madhu Vidyā.

Ils rendirent également la vue et la jeunesse à Cyavana. Le Rig-Veda n’en dit pas plus à ce sujet, mais nous le développerons au sujet des écrits plus tardifs. Redevenu jeune, il recouvre sa beauté. Le thème de la beauté revient fréquemment au sujet des deux frères. C’est un des attributs qui leurs est attaché, et qui est espéré de leur adoration :
« Rendez-nous très beaux.» (RV.8.8.17)
« L’Aurore vous suit apportant la Beauté, vous qui êtes omniprésents. » (RV.1.34.14)

Finalement, ils ont plus qu’un pouvoir médical : ils ont un pouvoir de vie. Le pouvoir de rendre la vie à qui l’a perdue. Et plus encore, il semble qu’ils aient le pouvoir de donner la vie, qu’ils soient intimement liés au principe vivant. Les versets 4, 5 et 6 de l’hymne 157 du premier maṇḍala le confirme explicitement :
« Apportez-nous la force, Ô Aśvins, arrosez-nous de votre fouet avec de douces pensées. Faites-nous traverser la vie, chassez le Mal, détruisez nos ennemis, soyez attachés aux vivants. 
Vous placez le germe de la vie dans les vivantes, vous le placez dans tous les vivants. Vous engendrez, Ô Aśvins, Agni, les puissants Agni, les eaux et les arbres.
Vous nous guérissez avec les remèdes, (…) » (RV.1.157.4/5/6)

Ils sont invoqués afin de stimuler les hommes, mais aussi les chevaux, et, dans le vers qui suit, les vaches, porteuses de veaux et de lait :
« Stimulez les vaches et stimulez le peuple, anéantissez les démons, chassez la souffrance. (…) » (RV.8.35.18)

Cela continue d’indiquer leur pouvoir tant sur le médical que sur le vivant.

Plus que des médecins : des héros et des sauveurs

Ces divinités sont également de grands héros, craints sur le champ de bataille. On a recours à eux devant les ennemis. Ils sont appelés « tueurs de démons » au verset 4 de l’hymne 73 du septième mandala. Et dans l’hymne 8 du huitième maṇḍala : 
« (…) Soyez pour nous, de différentes façons, les plus grands tueurs de Vṛtra (…) » (RV.8.8.22)

Dans les aides accordées aux sages par les deux dieux, on se rend compte que l’aide n’est pas seulement médicale. Ils refroidirent le feu pour Atri ; ils retrouvèrent la vache d’Agastya muni ; ou donnèrent la puissante richesse à Trasdayu.

Cela est encore appuyé au maṇḍala 8, hymne 96, verset 1 :
« Puisque vous êtes des guérisseurs procurant du plaisir, vous qui faites des actes merveilleux, puisque vous avez des paroles efficaces, Viśvaka vous appelle tous les deux pour nous soigner, ne rejetez pas au loin notre amitié. »

Les peuples qui vénèrent les Aśvins Kumaras, n’espèrent pas d’eux seulement la médecine du corps, mais une solution à toutes leurs inquiétudes, car tout ce qui perturbe la paix intérieure, que cela soit une cause interne ou externe, est perçu comme une maladie à soigner. 

Ils sont des dieux bons et généreux. Ils sont aptes à aider dans toute situation. On leur demande, la beauté, la force, l’abondance matérielle, la résolution des troubles et du doute, et, par-dessus tout, le bonheur.
« (…) Augmentez notre force Vitale, balayez la maladie, chassez la haine, soyez unis avec nous. » (RV.1.34.11)

Et encore, dans l’hymne 158 du maṇḍala 1, au verset 2 :
« (…) Venez dans notre esprit, pour accomplir nos désirs : la prospérité et l’abondance. »

Des sages

Un médecin ne saurait être accompli s’il ne possède pas la capacité de soigner au-delà des affections physiques. Les divins médecins sont aussi des sages, et les savants des temps védiques s’adressaient à eux en tant que tels. 
« Nous vous appelons, vous qui êtes sages. Vous êtes sages, expliquez-nous aujourd’hui votre sagesse. Vous honorant, nous vous sommes dévoués. » (RV.1.120.3)

Et au verset 2 de l’hymne 158 du premier maṇḍala :
« Qui peut vous offrir quelque chose, Ô Excellents, quand vous avez placé au pied du sage, avec l’hommage à la lumière, la vérité triomphante ? »

Ils n’apportent pas seulement la vie et l’aide nécessaire à la vie, mais avec la lumière, ils apportent la vérité. Plus loin, au verset 2 de l’hymne 58 du troisième maṇḍala, ils apparaissent comme des conseillers proches et bienveillants :
« Bien unis, ils vous apportent les élévations par la vérité. Ils sont comme des parents avisés. »

On espère que les Aśvins inspirent les pensées des humains, qu’ils les guident dans la vie comme vers le ciel. Ils sont, en plus d’être des médecins et des héros, des conseillers intelligents apportant réconfort et solutions à toutes difficultés.

Le char des Aśvinaus

Il est donné dans le Rig Veda une attention particulière au char des Aśvins. Il est décrit en plusieurs endroits du texte et certains éléments semblent contradictoires. Par exemple, le char est tantôt décrit tiré par des chevaux, tantôt sans chevaux. Ces apparentes contradictions ont pour but de libérer l’entendement de la rigidité de l’idée, et ainsi de permettre d’entendre au-delà des mots et de voir au-delà de l’image, comme une parabole. Les éléments descriptifs donnés semblent dissimuler un sens métaphysique au char :

Ils ont un triple char, avec trois places, dont il est dit qu’il est beau, qu’il roule bien.
« Venez vers nous dans votre char à trois places, à trois roues, à triple forme, qui roule bien. (…) » (RV.1.118.2)

Il est le transporteur des offrandes et du soma, tout en conduisant les Aśvins au sacrifice où le soma les attend. Autrement dit, le char apporte la chose qu’il va chercher.
« (…) Dans le char portant l’offrande, je vous appelle au lever du jour pour l’Aurore qui succède à la nuit éternelle. » (RV.1.118.11)

Dans ce verset, le char porte l’offrande tandis que deux hymnes plus loin, il va vers le soma qui est l’offrande.
« (…) Ce char se dépêche vers le soma buvable. » (RV1.120.11)

Et encore :
« Votre char, celui qui a beaucoup de formes, est le plus disposé à venir, là où l’on prépare sans arrêt le jus de soma. » (RV.3.58.9)

Le char semble posséder lui-même certains pouvoirs. Il a différents effets positifs sur les individus, il transforme les gens (RV1.120.11), il apporte le bonheur et la joie (RV.7.69.5). Et la même générosité que l’on prête aux divins cochers est prêtée à leur char (RV.8.26.4). Le char lui-même est digne de vénération par les assemblés de sages (RV.8.26.1).

La course du char est, elle aussi, remarquable.

Il est d’abord question d’une course céleste, il touche le ciel et ses chevaux vont comme des oiseaux volants (RV.1.118.5). Il arrive avec l’aurore et la lumière du jour, nous l’avons mentionné plus tôt. De même que la lumière envahit le monde, la course des dieux sur le char inonde le monde de grâce (RV.1.34.1). Il y a plus encore, un verset énigmatique mentionne sept flots. On peut comprendre les sept océans de la géographie ancienne indienne. Mais cela peut aussi porter vers une interprétation plus significative. Nous y reviendrons ultérieurement. 
« Dans cette union commune, Ô Énergiques, que votre char aille autour des sept flots. » (RV.7.67.8)

Aśvins et astrologie/astronomie : Aśvini nakśatra

Dans la tradition védique, six sciences, les Vedangas, permettent une compréhension juste des Vedas. Ces sciences sont les membres du Veda : elles sont śikśā (phonétique), kalpa (rituels), vyākaraņ (grammaire), nirukta (éthymologie), chandah (métrique) et jyotiṣa (astrologie/astronomie). Pour qui connait l’astrologie, le Veda, et les Purāṇas, prennent un sens nouveau, car beaucoup de divinités et sages trouvent leur place dans le ciel, sous la forme des astres

Il en va de même pour les dieux jumeaux qui sont représentés dans le ciel sous la forme d’Aśvini nakśatra. Les nakśatras sont les demeures lunaires, les constellations, ou les divisions du zodiaque qui portent le nom des astres correspondants. Nous ne nous lancerons pas dans une relecture astronomique ni astrologique du Veda, mais cela révélerait sans aucun doute beaucoup sur le mouvement des astres au temps de la rédaction de ces textes.

En astrologie védique, ce nakśatra est dirigé par nos deux héros. Comme eux, il est vif, aérien, dynamique. Il ressemble à un cheval au galop. Il peut apporter une guérison miraculeuse ou des solutions, et conduire rapidement au but. Il est le nakśatra du prāņa, et, comme tout ce qui existe est issu de, et soutenu par le prāņa, il est le premier nakśatra du zodiaque.

Aśvini nakśatra demeure dans le signe du Bélier, qui est la tête de kalapuruṣa (Être du temps). Il favorise donc un intellect vif, une bonne mémoire et une capacité d’apprentissage, ainsi qu’un système nerveux solide. A cause de son impatience et de son impulsivité instinctive, les natifs de ce nakśatra doivent pratiquer la méditation et le contrôle de soi de façon à garder le cheval de leur esprit attaché au chariot de la conscience.

Nous voyons que les qualités de ces dieux célébrées dans le Rig-Veda sont celles que l’astrologie accorde à la maison lunaire qui porte leur nom.

Les Aśvins dans la littérature ultérieure au Rig-Veda

Dans la littérature ultérieure au Rig-Veda, le rôle des Aśvins demeure le même, ils sont les divins médecins. Ils soignent les dieux et les sages, les humains qui se tournent vers eux.

Dans le Śatapatha Brāhmaṇa (k.5.adh.5.br.4), ils soignent Indra, le roi des dieux quand il fut purgé de soma. Et de ce fait, ils reçoivent une victime en sacrifice dans les rituels :
15. « Et quand à la raison pour laquelle il y a (une victime) pour les Aśvins, ce sont les Aśvins qui l’ont guéri ; (…). »

On apprend au verset 16 qu’ils l’ont soigné par l’utilisation de mantras seulement :
« (…) Sarasvatī assurément est le langage, et c’est par le langage que les Aśvins l’ont guéri ; (…) »

Le rôle de docteur est largement valorisé puisqu’ils soignent le roi des Dieux lui-même. Et comme on le voit, il leur sera offert une chèvre en sacrifice dans le rituel, en remerciement, en même temps qu’à Sarasvatī et Indra. 

On trouve dans les Purāṇa, un aspect qui n’est pas développé dans le Veda : le statut des deux frères est diminué par rapport aux autres dieux et leur inaptitude à boire le soma est mise en évidence. Ils ne reçoivent, originellement, pas de part dans le sacrifice. C’est par l’intercession d’un sage qu’ils y seront autorisés.

Les versets du Rig-Veda qui mentionnent que Dadhyanca leur a transmis la science de Madhu peuvent aisément être compris en ce sens, puisque madhu (miel) est souvent synonyme de amṛta (nectar d’immortalité) et de soma.

Le Skanda Purāṇa, comme le Śrimad Devī Bhāgavatam, établit que Cyavana permit aux deux de recevoir le soma, et leur part dans le sacrifice, après qu’ils lui aient rendu sa jeunesse (Sk.30.37-42).  Il se peut qu’une autre science que celle du soma soit entendue par Madhu vidyā ; ou encore que Cyavana ait obtenu aux deux frères de boire le soma et que Dadhyanca leur en ait par la suite enseigné la science.

Selon le Skanda Purāṇa (chap.281.vers.23), Śakra, ou Indra, ne les rend pas aptes à boire le soma à cause de leur état de médecins. Ils demandent à Cyavana :
« Nous sommes les Médecins des dieux. Néanmoins Śakra ne nous rend pas qualifiés pour ingérer le jus de soma. Fais de nous des Somapāyins. »

Le Śrimad Devī Bhāgavatam, reprend ce thème. Indra s’oppose à leur obtention de la boisson mystique (liv.7.chap.7.vers.5). Il s’adresse à Cyavana:
« Indra dit : “Ils sont les médecins ; ils ne peuvent en aucune façon accepter la coupe de soma. Je vais maintenant te couper la tête. »

Dans le Varāha Purāṇa, nous le verrons en détails, les deux divinités obtiennent le droit de boire le soma du fait de leurs ascèses et de leurs prières à Brahmā.

Le Skanda Purāṇa affirme au chapitre 146, verset 13, que celui qui adore les Aśvins au douzième jour du cycle lunaire verra toute maladie disparaitre.

Agni Purāṇa, au chapitre 177 (1-8), affirme que celui qui les adore au second jour du cycle, en se nourrissant de fleurs, connaîtra joie et libération. S’il maintient ce vœu sur l’année, il a bonne fortune et il atteint le paradis.

Certains versets du Śatapatha Brāhmaṇa (+ ou – 700 av JC) révèlent un sens second au Aśvins. Ces deux sont pour ce texte les personnifications du ciel et de la terre, du soleil et du feu :
« Et pour ce qui est des (la signification de) Aśvins, les Aśvins sont manifestement ces deux, ciel et terre, car ces deux ont obtenu possession de toutes choses ici ; ‘les couronnés du lotus’, ils (les Aśvins) sont appelés : Agni en vérités, est le lotus de cette terre, et le soleil celui du ciel lointain. » (K.4.Adh.1.Br.5.v.16)

Les Aśvins dans le Varāha Purāṇa

Le Varāha Purāṇa donne, à travers un dialogue entre le roi Prajāpāla et le sage Mahātapā, un récit détaillé de la naissance des Aśvins et de leur nature. Dans le chapitre 20, dans la seconde partie du premier verset, le roi Interroge le rṣi au sujet de la venue à l’existence des deux frères.

L’histoire est connue de beaucoup, mais un rappel ne sera pas de trop :

Parmi les Ādityas, fils de Aditi et Kaśyapa, « Mārtaņḍa (le soleil) était connu à travers le monde et très brillant. Il est de douze formes et de l’énergie de Nārāyana. » (vers.5). Il épousa Sanjnā, fille de Tvașțŗ qui porta deux enfants : Yama et Yamunā. Mais, bientôt incapable de supporter plus longtemps la puissance de son conjoint, Samjnā émana un double d’elle-même, Chāyā (ombre), qu’elle laissa à sa place tandis qu’elle quittait la demeure maritale. Sanjnā prit refuge sur terre sous les traits d’une jument. Mārtaņḍa ne découvrit la supercherie qu’après avoir eu deux nouveaux enfants (Śani et Tapati) avec le double. C’est en voyant, suite aux remarques de Yama, la différence d’attitude de Chāyā avec les deux ainés et les deux cadets qu’il prit conscience du subterfuge. C’est lors de ces évènements que Yama sera banni dans l’infra-monde et deviendra l’intendant des défunts mais aussi, habitant les cieux, le régent du monde et le juge entre vice et vertu, et que Śani sera chargé d’un regard sinistre. Ensuite le dieu-soleil se rendit sur terre est assuma la forme d’un cheval afin de retrouver sa chère épouse. Lors de l’union de ces deux amants, la semence étincelante du dieu se sépara en deux courants. « C’est ainsi que, par le passé, naquirent Prāņa et Apāna, auto-contrôlés, qui acquirent des corps par l’effet du souhait qu’il leur avait été accordé. » (vers.19) 

Comme ils sont nés de Aśvi, la forme équidé de Sanjnā, ils portent le nom d’Aśvins.

Le verset 21 expose ainsi l’origine des deux : « Bhānu est le progéniteur lui-même ; la fille de Tvașțŗ est le pouvoir suprême dans le sein de qui furent conçus les deux qui étaient d’abord sans forme puis en obtinrent une ».

Ce verset met l’emphase sur le pouvoir immense à l’origine de la forme des dieux jumeaux.

Puis, sur l’ordre de leur père, ils accomplirent de sévères austérités afin de propitier Nārāyana à l’aide de l’hymne Brahmā-pāramaya. Brahmā, en tant que forme de Nārāyana, se manifesta à eux et leur accorda leur souhait : une part des oblations sacrificielles, le droit de boire le soma, et l’égalité éternelle avec les dieux.

Brahmā leur accorda beauté, grâce et élégance sans égal, ainsi que le secret des qualités curatives de toutes choses et l’égalité et le droit de consommer le yoga.

Comme Brahmā leur conféra ces biens le second jour du cycle lunaire, ce jour leur est très propice. Il est dit que celui qui se nourrit de fleurs seulement en ce jour, pendant une année complète, vivant de façon pure et pieuse, gagne une beauté exquise et acquiert toutes les qualités propres aux Aśvins.

Sens nouveau 

Revenons maintenant à la question du monarque, en début de chapitre. Celle-ci n’est pas anodine puisqu’il nous y livre un secret qui va transformer notre entendement des versets du Rig-Veda, comme de la nature des Aśvins. Ce faisant, dans sa question même, il nous révèle un sens secret qui va aussitôt apporter une lumière sur qui sont les Aśvins. Il demande :
« Prāņa et Apāna, de quelle façon, ces divins Aśvins sont-ils venus à l’existence ? »

Les deux Nāsatyās sont identifiés par le roi dans les formes de Prāņa et Apāna, deux des vents qui animent le corps humain. Il serait juste de dire les deux vents les plus importants du système circulatoire physique et énergétique. 

La science de l’étymologie appuie cette affirmation du Varāha Purāņa.  L’autre nom des deux frères : Nāsatyās peut être lu de différentes manières. Pris au pluriel, il désigne nos deux divinités, comme il désigne l’un d’entre eux au singulier. Il peut être traduit par amical, serviable, gentil. Mais on peut aussi voir en lui un cousin lexical du mot « nasa » ou « nāsā » (les deux formes existent) signifiant « nez ». Le souffle qui circule entre le cœur et les narines est Prāņa, et son frère jumeau est Apāna.

Cet élément projette une lumière nouvelle sur la lecture des versets du Rig-Veda que nous avons vus.

Prāņa demeure dans le cœur et assure la respiration, il nourrit le sang, le cerveau, les organes. Il est le souffle de la vie dans le corps. Apāna est un vent descendant. Il maintient le corps en gravité, il assure l’élimination. Ces deux souffles à eux seuls assurent les principales fonctions du corps. Nous comprenons bien que ces fonctions sont les premières à garantir la santé dans le corps, et que tout déséquilibre dans leur fonctionnement entraîne maladie et mort. Il ne serait pas faux de dire que ces deux vents sont les premiers médecins pour un individu.

Nombres de traités de Yoga développent l’idée que l’union de prāņa et apāna, dans la région du nombril, par une inversion volontaire des mouvements de ces souffles, c’est-à-dire en forçant apāna vers le haut et en tirant prāņa vers le bas à l’aide de certaines pratiques yoguiques, provoque l’éveil de Kuṇdalinī Śakti en suṣumnā, le canal énergétique central du corps humain. Si j’expose ce fait, c’est parce que l’union de deux souffles est appelée « sandhyā » dans les Svara-śastras (les traités sur le souffle). Le mélange des deux souffles éveille un troisième souffle divin puisque Kuṇdalinī est vraiment le souffle divin.

Or sandhyā désigne aussi le crépuscule, ce moment lors duquel il ne fait ni nuit ni jour, ni jour ni nuit. Le soleil n’est pas levé encore, mais la nuit n’est plus. Et le soleil est couché déjà, mais la nuit n’est pas encore. Ce moment lors duquel l’un et l’autre se mélangent. Uṣā, fille du soleil et sœur des Aśvinis Kumaras, a le sens de crépuscule matinal, l’aurore. Elle est sandhyā. 

Cela explique pourquoi une emphase si importante est placée dans le Rig-Veda dans la description du chariot à trois places des Nāsatyās. Ils sont les deux souffles, et Uṣā devient alors l’union de ces deux souffles Prāņa et Apāna, les deux Aśvinaus, la déesse Kuṇdalinī semblable à mille soleils. 

Si nous entendons le triple chariot comme le véhicule de Uṣā, Kuṇdalinī, l’énergie manifestée par sandhyā, le mélange des deux souffles jumeaux, alors le verset suivant prend lui aussi un sens plus clair :
« Dans cette union commune, Ô Énergiques, que votre char aille autour des sept flots. » (RV.7.67.8)

Dans ce nouveau contexte, les sept flots autour desquels un mouvement circulaire se produit par le mouvement des souffles unis, il n’est pas déraisonnable de se rappeler les sept cakras.

Enfin, le soma, cette boisson sacrificielle enivrante qui révèle l’immortalité et l’unicité de l’âme, dont les deux frères sont friands et vers laquelle leur char se précipite en volant tel un oiseau, s’il est décrit comme le jus d’une plante par les ritualistes, est aussi décrit par les yogis comme le nectar dissimulé dans le cerveau humain et qui est libéré par le déploiement de Kuṇdalinī dans le système physico-énergétique d’un être humain. 

Finalement ce nouvel éclairage nous permettra de comprendre pourquoi les Aśvins n’ont d’abord pas droit au soma. Peut-être à cause de leur absence de corps mentionnée dans le Purāņa : sans corps comment pourraient-ils recevoir le nectar ? Mais surtout, les deux souffles sont d’abord dans le corps pour assurer ses fonctions vitales. Indra, le chef des indriyas (organes de perceptions et d’actions), veut maintenir l’ordre établit. Celui selon lequel fonctionnent la psyché et l’organisme. Il leur interdit donc l’accès au nectar enivrant et transcendantal. Mais cela étant dans l’ordre des choses voulues par le plus grand pouvoir, ils sont dignes de conduire leur chariot jusqu’au lieu où le soma est offert. Ils sont capables de produire l’alchimie délivrant le soma dans l’esprit du yogi.

A travers cette analyse, un sens nouveau est révélé concernant la nature des Aśvins Kumaras. Ces médecins que sont les souffles internes semblent aussi être les gardiens d’un plus grand secret, les gardiens de la médecine ultime. Celle qui rend la vie. Celle qui accorde l’intelligence spirituelle et la sagesse. Celle qui remet en la place la tête déchue.


Notes : Pour la traduction des versets cités du Rig-Veda, merci à Hervé Le Bévillon. Les Purāṇas sont quant à eux traduits par l’auteur.

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