En cette année 2024, l’ouverture de Diwali en Inde coïncide avec Halloween en Occident. Cette concordance n’est pas rare : la dernière a eu lieu en 2022. A première vue, ces deux fêtes s’opposent comme le jour et la nuit. Pourtant, il est permis de rêver une immémoriale origine commune, qui serait susceptible d’éclairer la façon dont elles dialoguent.
Diwali convoque un grand nombre de mythes de l’hindouisme, mais commémore principalement le
retour de Rāma, septième avatar de Vishnou, après qu’il a délivré son épouse Sītā des forces démoniaques.
Son arrivée triomphale dans la capitale de son royaume est saluée par une multitude de lampes allumées par ses sujets en liesse. Les illuminations et feux d’artifice caractérisent la fête de Diwali (dipa avali = rangée de lampes en sanskrit). L’on célèbre la victoire de la lumière sur les ténèbres, du Bien sur le Mal, la néantisation du néant et le Renouveau de toutes choses, tel que chanté dans le Pavanama Mantra :
Mène-moi de l’irréalité à la réalité,
Mène-moi de l’obscurité à la lumière,
Mène-moi de la mort à l’immortalité.
Conséquemment, c’est Diwali qui marque le Jour de l’An hindou, où l’on s’échange des cadeaux et des vœux de bonheur et de prospérité.
Au même moment, de l’autre côté du Monde, la fête de Samain marquait pareillement le passage à la Nouvelle Année chez les Celtes. La nuit précédant Samain, chaque chef de famille éteignait le foyer de sa maison. Puis il allait chercher, dans de grands feux sacrés allumés par les Druides, de quoi le faire renaître, et protéger ainsi les siens tout au long de l’année. La cérémonie achevée, les feux druidiques étaient étouffés pour éloigner les esprits mauvais. L’on festoyait ensuite avec ferveur, parfois pendant plus d’une semaine.
La veille de Samain était donc une nuit de transition. La frontière entre les mondes se brouillait et les morts pouvaient se mêler aux vivants. On leur laissait la porte entrouverte et une place à table. Des lanternes étaient allumées sur les chemins pour les guider. En Bretagne, jusqu’au XVIIème siècle au moins, l’on évitait de balayer cette nuit-là de peur de les blesser par inadvertance, et l’on rentrait le bétail à l’étable pour ne pas qu’ils risquent d’être bousculés ou piétinés. Et il ne fallait pas s’attarder au-dehors, car les rôdeurs venus de l’au-delà n’étaient pas tous bien intentionnés.
En l’an 840, le Pape Grégoire instaure à la même date la fête de Tous les Saints, ce qui témoigne d’un esprit de syncrétisme plutôt que d’acculturation. Les quelques 8000 Saints du christianisme ne sont-ils pas ceux d’entre les morts qui ont accédé à l’immortalité ?
La Toussaint permet de les célébrer, et avec eux, tous les Saints méconnus que l’Eglise craint d’oublier. Trois siècles plus tard, le Jour des Défunts est placé au lendemain de la Toussaint, scellant ainsi la continuité avec Samain.
Avec ses lanternes, ses légendes spectrales et son ambiance à la fois enjouée et inquiétante, Halloween, contraction de All Hallows’ Eve (Veillée de Tous les Saints), est indéniablement une survivance de la nuit de Samain. Originaire des îles britanniques, Halloween s’est diffusée dans tout les pays de culture anglo-saxonne, mais c’est aux États-Unis que cette fête a pris la forme que nous connaissons. Les navets traditionnels, qui ne poussaient pas là-bas, ont été remplacés par les citrouilles. Commerce oblige, les déguisements se sont multipliés, lorgnant du côté du cinéma d’horreur par syllogisme. Halloween est aujourd’hui la fête des ombres.
A la fin des années 90, Halloween est introduit en France par les grandes surfaces, qui y voient une opportunité de gonfler leur chiffre d’affaire. Les autorités catholiques s’alarment alors de voir de plus en plus d’enfants s’amuser dans des mises en scène sinistres, hors de toute référence positive. Sans doute avec raison, car « la plus belle ruse du Diable est de faire croire qu’il n’existe pas », disait Baudelaire, qui s’y connaissait.
L’obscurité met-elle en valeur la lumière, ou la lumière met-elle en valeur l’obscurité ? Considérant d’un côté les clartés de Diwali et de l’autre, les noirceurs d’Halloween, difficile de ne pas penser à René Guénon. L’Orient auroral et immuable, contre l’Occident crépusculaire et déliquescent… Mais il serait paresseux de s’y arrêter.
Il n’est pas de fête qui ne soit en même temps religieuse. Réciproquement, il n’est pas de religion sans fête. Trop intérieure, trop austère, trop peu festive en somme, la Toussaint de notre vieille Europe présentait un vide dans lequel Halloween s’est engouffré, avec ses déviances modernes, certes, mais aussi son exubérance et sa convivialité. Or tous les Saints ne devraient-ils pas être fêtés comme il se doit, avec toute la joie et la chaleur nécessaires ?
Dans quelques paroisses, le lendemain d’Halloween, l’on voit maintenant défiler des enfants déguisés chacun en un Saint, leur patron de préférence. Ils s’amusent et ils sont heureux. Holy Wins ?
En Occident comme en Orient, de part et d’autre de la montagne de Dieu, il n’est pas dit que la mort et les ténèbres auront le dernier mot.