De l’importance du geste jālandharabandha dans la pratique du yoga avec Kuṇḍalinī.
Avant de parler des bandha, il nous faut entrevoir les cinq souffles vitaux dans le corps.
Apāna qui part du bas du corps, vers le bas, sert à l’évacuation des matières fécales, de l’urine, des règles, c’est le souffle expiré.
Prāṇā qui part de la poitrine, vers le haut, est le souffle inspiré qui nourrit, apporte du prāṇā dans l’organisme.
Ces deux souffles sont opposés dans la vie.
Quand on inspire, l’esprit est ramené dans le corps, il y a incarnation. Sur l’expiration, l’esprit voudrait quitter le corps, se réunir avec Brahman, mais l’inspiration revient.
Cette opposition est source de dualités et tant qu’elle existe, le mental est présent. En effet, le mental ne peut se taire que quand le souffle est arrêté, d’où l’importance fondamentale du prāṇāyama… Le prāṇāyama, si pour le débutant, c’est apprendre à respirer et maîtriser les trois volumes principaux de la respiration (ventre, cotes, clavicules), pour le yogi plus expérimenté, le prāṇāyama sera « allongement du souffle jusqu’à sa disparition » dans le but d’atteindre « la tenue parfaite » kevalakumbhaka (cf. Yogatattvopaniṣad strophe 51).
Assurément, pour accéder à cette suspension parfaite du souffle, il va falloir diriger, canaliser l’énergie, qui va devenir brûlante et très puissante.
Les bandha (contractions internes), les dṛṣṭi (visualisations), les mudrā (gestes internes et externes) deviennent alors fondamentaux dans la pratique avancée du yoga.
Les mudrā inversent alors le sens d’apāna et prāṇā pour les faire se rencontrer dans samāna
Samāna: zone qui va du bas du sternum à un peu plus bas que le nombril. Samāna est le lieu du souffle égalisé et de la paix, c’est le souffle aussi de la digestion.
Puis, nous avons udāna, le souffle de l’élévation, de l’ascension. Communément, il ne sert qu’à parler ou roter, voire tousser, mais chez le yogi qui maîtrise le prāṇāyama, il devient le véritable éveil de Kuṇḍalinī et si le coup peut représenter la mèche d’une bougie, ceux qui auront éveillé udāna se retrouvent avec leur bougie allumée.
Enfin, vyāna se trouve tout autour du corps et se charge d’énergie avec le prāṇāyama.
Pour inverser le cours du prāṇā le yoga propose jālandharabandha.
Menton contre la fourchette sternale, ou simple étirement des cervicales en poussant le sommet de la tête vers le haut, menton rentré, que devons-nous faire et pourquoi ?
Comme à chaque fois, je me questionne sur la finalité des pratiques et pas le « détail » d’une pratique, car finalement chacun doit trouver ses subtilités.
Le « geste du Porteur de Lac », jālandharabandha se place avec deux autres bandha.
Tout d’abord, mūlabandha la contraction de la « racine » qui utilise la contraction des releveurs de l’anus et un peu l’anus. Cette petite contraction subtile en bas va permettre d’inverser apānavāyu et de le faire remonter…
Jālandharabandha est placé ensuite et ferme la « jarre », le corps humain, mais surtout emprisonne ses souffles et surtout prāṇavāyu qui ramène l’esprit dans le corps. Prāṇavāyu est alors, lui aussi, inversé par jālandharabandha et s’installe dans la zone du souffle équilibré samāna.
Là, se rencontrent apāna et prāṇa poussés par leurs bandha respectifs, l’énergie alors commence à prendre feu dans samāna.
Le troisième bandha, le « geste du volant », uḍḍiyānabandha, aspiration du ventre, « pousse » ce feu dans suṣumṇa.
L’énergie alors savamment conduite va remonter, dans suṣumṇa, en emportant l’esprit.
Nous comprenons que tout cela se fait poumons vides, après un travail de préparation précis et long pour maîtriser le vide à la fin de l’expiration, mais aussi le déplacement de notre esprit dans les nāḍī.
Pour le débutant, il sera plus concevable et sécurisant de travailler les rétentions à plein, pour tenter de maîtriser le mental, le feu et construire un véritable corps d’énergie (prāṇamayakośa) puissant.
Le grand prāṇāyama à maîtriser et travailler très longtemps est nāḍīsodhana, où inspiration et expiration se font par une narine fermée alternativement avec changement d’un côté avant d’expirer. Il convient de percevoir les nāḍī iḍā et piṅgalā pour véhiculer notre esprit dedans et obtenir réellement le « nettoyage » des nāḍī. Dans mon expérience, en plus de libérer fortement le souffle, de débloquer des nœuds physiques, psychiques, mentaux, énergétiques et spirituels, je dois dire que nāḍīshodana a pour finalité de créer un corps d’énergie puissant capable de quelques « prouesses .
Les rétentions à vide viendront bien plus tard et deviendront de plus en plus agréables, là où souvent au début, elles sont très brûlantes et désagréables.
Le Vijñānabhairava nous propose cela :
« Il faut exercer une poussée ascensionnelle sur la suprême énergie formée de deux points (visarga), que sont le souffle expiré en haut et le souffle inspiré en bas. La situation de plénitude provient de ce qu’ils sont portés ou maintenus, sur leur double lieu d’origine. »
S’il n’est pas fait mention des bandha et de samāna, le Vijñānabhairava nous donne une indication très précise qui est l’inversion subtile des souffles. Expiration en haut et inspiration en bas, sens du souffle qui cherche fortement l’éveil de Kuṇḍalini et ne s’embarrasse plus d’aucune « sécurité » liée à l’expiration vers le bas du débutant… L’idée du plein et du vide est aussi à retenir, j’en parlerais une autre fois, elle est aussi capitale.
Il faut ajouter une « visualisation », dṛṣṭi, en tournant les yeux vers le milieu du front (bhrūmadhya dṛṣṭi ) ou bien vers le haut du sommet du crâne (première étape de sāmbhavī mudrā ) avec le retournement de la langue vers le voile du palet (khecarīmudrā).
Alors, l’énergie, Kuṇḍalini (la lovée), sort par le brahmarandhra (la porte de Brahma), la fontanelle, et emporte l’esprit (Ātman), notre âme individuelle, qui se fond avec l’âme Universelle, Dieu (Brahman).
L’éveil de Kuṇḍalini, si il a réellement lieu, perce les chakras, rendant le corps «deux fois né », donc ressuscité, véritable initiation qui passe par la mort de la personne.
L’éveil de Kuṇḍalini place l’individu dans une réalité où sa vie sociale risque d’être très chamboulée, il faut donc bien comprendre ce qui est fait et ce qu’on veut.
Bonne Pratique !