Pendant des années nous vivons dans l’illusion de l’individu que nous sommes.
Le personnage, dès sa naissance, se crée en relation avec le monde, les autres personnes, nos forces, nos faiblesses, la culture, nos passions, nos désirs, nos blessures, etc.
Une infinité d’éléments nous façonnent.
Puis un jour nous prenons conscience que nous pourrions être bien plus que cela, bien plus que cette forme ou cette énième forme qui se fige et nous fige de jours en jours.
Cet «éveil» nous plonge dans une quête de compréhension, de perceptions et d’expériences en tout genre pour tester qui nous sommes. A ce stade on commence à sortir de l’emprise des illusions du monde, illusions sociales, illusions affectives qui nous forcent à devenir un être qui doit se plier à toutes les règles d’une société. Illusions des jeux d’ego, où on comprend que pour trouver le bonheur on doit tenter de maîtriser nos pulsions, nos désirs, nos fantasmes, nos joies, nos peines, nos souffrances… On devient flou pour le monde, flou pour nous même, avec de moins en moins de formes, d’attachements, de tentatives de se plaire ou de plaire, ce qui est le comportement de l’adolescence.
On décide un jour d’utiliser des outils comme le Yoga, la méditation, les mantras, les prières, etc.
Avec le risque de devenir besogneux et de se prendre au sérieux en développant des savoirs qui peuvent nous replonger dans des illusions et de nouveaux jeux d’ego.
Ainsi on peut devenir séduisant, attirant et beaucoup se perdent dans ces jeux où l’onanisme et la luxure deviennent les entraves à un réel développement spirituel.
Pour autant depuis notre plus jeune âge et même avant, quelque chose est là, toujours là.
Cette chose n’a jamais bougé, ne s’est jamais transformée!
Cette chose est au centre de ce que nous sommes et nos existences se manifestent autour de cette chose. Comme une bille dans un jeu de roulette, notre existence prend des formes en réaction aux rebonds de cette bille. D’événements en événements, de coups en coups, de plaisirs en plaisirs ou de souffrances en souffrances nous semblons nous transformer, évoluer ou régresser, mais cette chose au fond de nous ne bouge pas.
Étrangement chaque fois qu’il nous serait possible de venir écouter cette chose, nous trouvons plein d’excuses pour la masquer. On fuit cette chose par tous nos comportements, notre logorrhée aussi bien interne qu’externe, nos colères, nos peurs, nos projections, nos mensonges, nos transformations, nos désirs, tout ce qui peut nous éloigner de l’instant présent, de la simplicité, de notre mort à nous même.
Il semble qu’apprendre à descendre en nous, dans le non forme, dans l’instant présent pour trouver cette chose soit très compliqué pour nous, que toute notre vie soit orientée uniquement vers l’extérieur de notre corps dans une quête exténuante d’aimer le reflet que nous voyons dans le miroir.
Cette chose est effectivement un grand mystère, le plus grand de notre existence finie et limitée, quand cette chose est infinie, sans forme, sans fond, sans appui, mais si puissante.
On pourrait entrevoir cette chose comme un vide infini, mais ce n’est pas cela non plus. D’ailleurs cette chose ne peut être exprimée par un mot, ou des mots, elle échappe à tout cela car les mots n’auront de cesse de la limiter.
Ce mystère est insondable et ne se laisse gagner par rien, ou par tout!
La plus grande pratique de mantras, de Yoga, de méditation ne pourra pas forcément nous donner la pleine compréhension, la pleine réalisation de cette chose car à chaque fois que nous tentons d’aller vers cette chose tous nos sens, nos attitudes, nos pensées nous ramènent vers l’extérieur ou du moins vers un extérieur à cette chose et irrémédiablement loin de cette chose. Cela se passe à chaque instant de toutes nos pratiques, rapidement on se prend au jeu, on redevient instantanément le personnage qui fait ceci ou cela et notre posture devient une imposture, notre mantra une affirmation de notre ego…
Si on se pose avec l’intention farouche de devenir complètement cette chose infinie et « sans forme », rapidement nous nous coagulons dans une nouvelle forme, bien souvent imperceptible au début et qui se révèle avoir tout pris dans ses filets.
Avec la pratique, on perçoit quand la forme arrive, mais même là c’est trop tard, nous nous sommes éloigné irrémédiablement, du sentiment absolu de cette chose.
Elle semble absolument non connectable, non capturable !
On pourrait dire que cette chose est notre source, mais là encore ce serait lui donner un sens, un axe qui serait uniquement orienté vers le fait d’ouvrir des yeux et pouvoir s’agiter avec notre corps et manipuler le monde autour de nous.
Cette chose n’a pas non plus de sentiment en elle… Certains parlent d’Amour, mais cette chose incorpore tous les sentiments possibles, toutes les potentialités, tout est en elle…
Pour tenter de rencontrer cette chose, nous devons opérer un retournement en nous, un retournement qui se fait par notre esprit, avec notre esprit. Il nous faut mourir à notre personne, en prenant conscience que nous ne sommes réellement personne, juste une illusion, mais là encore attention à ne pas juste créer un schizophrène en nous, un dédoublement, une nouvelle illusion qui nous plongera encore dans mille et une facettes des reflets du miroir et nous éloignera encore plus de la révélation de cette chose, de ce mystère.
Il n’y a rien qu’on puisse désigner en parlant de cette chose, elle EST et n’a pas d’avoir, pas de manifestation particulière si ce n’est toutes les manifestations.
Mais cette chose est là, Présente en nous et présente en tout.
Une seule chose unique, sans second, qui orchestre tout sans laisser de traces et de preuves.
La seule preuve de son existence est que vous êtes en train de lire ce texte, cela n’a pas besoin d’être prouvé, vous êtes là, encombré dans toute une infinité de choses, de sentiments, d’envie de désirs qui n’entachent jamais cette chose, mais vous êtes là grâce à cette chose qui, en toile de fond, nous anime et anime toute chose animable.
Cette chose permet de dire «Je suis»!
« Je suis » n’a pas de lien avec « je suis cela », « Je suis » est très loin de « Je suis cela ».
Il nous faudra tenter et tenter encore afin de trouver une juste attention pour soutenir ce feu brûlant, cette lumière incandescente en laissant nos pants s’engloutirent un à un, dedans.
Ce mystère est là, si présent et si inaccessible en sa totalité. Le numineux qui s’en dégage, le creuset qu’il creuse en moi m’aspire tout entier et laisse surgir une saveur incomparable, absolue que rien ne peut remplacer.
Il semble que cette chose se rencontre dans notre totale nudité de tout, que rien de ce que nous pouvons faire, apprendre, comprendre puisse nous amener à rencontrer.
Tout au contraire la chose se révèle de plus en plus dans une attitude très simple, le dos droit, le souffle ralenti, la cessation des pensées et une attention qui trouve toute sa force dans une intention farouche de se laisser submerger par ce mystère. Une acceptation et un abandon total à ce mystère qui nous engloutit tout entier, une mort à son existence, à nos croyances, à nos savoirs. Un lâcher prise totalement maîtrisé qui se perd dans la saveur incroyable de la Présence du mystère…
Alors dans notre existence, avec le retournement de l’Esprit réalisé, tout remonte à ce mystère, tout est absorbé à chaque instant par lui, tout l’existence n’a de sens aujourd’hui, pour moi, qu’à travers sa présence absolue, tout se perd en lui et rare sont les actions qui échappent à son aspiration, à son inspiration…
Seul alors
Sans forme et sans image
Sans trouver fond ni appui
On goûte je ne sais quoi
Que l’on vient d’aventure à trouver
Carmel de saint Jean de La Croix